Le nouveau modèle de développement passera irrémédiablement par un aggiornamento profond du système judiciaire pour mieux coller aux standards internationaux. Le chemin est encore long. Tribune.
Malgré les promesses des pouvoirs publics, le système judiciaire marocain peine à s’arrimer aux standards internationaux et à se conformer aux conventions internationales. A elles seules, la moralisation de la justice et la lutte contre la corruption ne seront pas suffisantes pour restaurer la confiance des justiciables et des opérateurs économiques.
Ce climat de confiance ne peut être atteint que par la transparence et l’adoption de pratiques de bonne gouvernance, ainsi que par la mise en place d’indicateurs de performance.
Un accès laborieux et une production législative insuffisante
Il est d’une nécessité impérieuse de repenser l’accès à l’information législative et légale, cette dernière étant inaccessible en ligne et nécessite d’être abonné au Bulletin officiel (BO).
Quant à l’accès aux lois sur le site du Secrétariat général du gouvernement (SGG), il est aujourd’hui techniquement obsolète et ne permet aucune recherche efficace. Pour les annonces légales publiées au BO, l’opacité règne, celles-ci n’étant accessibles que sur la version papier.
« Pas de développement économique sans une justice de qualité : la causalité est évidente »
La production législative en matière commerciale semble aujourd’hui dépendre de la notation du Maroc dans les classements internationaux. Il apparaît que nous promulguons quelques textes au seul effet d’améliorer nos classements.
Mais cette logique ne concerne pas tous les domaines du droit et se fait parfois dans la hâte, sans véritable efficience. La traduction officielle des textes n’est, en outre, plus systématique. L’entrée en vigueur du nouveau code de la procédure civile se fait attendre depuis près d’une décennie.
Or, sa promulgation est nécessaire puisque le code actuel, qui date de 1974, bien que contenant quelques rares aménagements récents, a largement atteint ses limites. A titre de comparaison, nos voisins algériens ont promulgué leur nouveau code de procédure civile en 2008.
Quelle pérennité ?
Malgré l’indépendance du pouvoir judiciaire, le ministère de la Justice administre encore et de façon efficace les données informatiques de la justice, dont certaines informations sont accessibles aux justiciables sur le portail Mahakim.ma dont il faut saluer l’existence.
Ce portail permet, entre autres, de suivre quasiment en temps réel l’ensemble des affaires traitées devant les juridictions nationales, de connaître le sort de chaque audience et le prononcé de la décision lorsque celle-ci est rendue.
Bien que son utilisation soit aujourd’hui généralisée en matière civile et commerciale à l’ensemble des tribunaux qui mettent quotidiennement à jour leurs données, nous constatons cependant que certains tribunaux tardent à saisir les informations, voire s’y refusent.
Cette bicéphalité, entre le ministère qui détient les données, et le pouvoir judiciaire théoriquement garant de la saisine de ces données, nous pousse à nous interroger sur sa pérennité.
Quid du cas où un tribunal cesse de mettre à jour l’information judiciaire, ou lorsque les données sont erronées ? Quelle obligation de mise à jour pour les juridictions et quelle administration saisir ? Peut-on espérer un jour voir les décisions de justice accessibles ? Celles-ci existent dans la base de données du ministère et leur mise en ligne contribuera à la transparence et forcera à la qualité.
Big Data et bonne gouvernance
La base de données détenue par le ministère de la Justice est considérable. Nous pouvons déplorer aujourd’hui qu’il ne semble y avoir aucune exploitation de ces données pour une meilleure gouvernance et une analyse plus efficace des sources d’engorgement.
Certains indicateurs peuvent être mis en place par juridiction et même par magistrat. La célérité peut être appréciée en comparant les délais moyens de traitement, entre le dépôt d’une requête et le jugement. Les écarts entre ces délais varient d’ailleurs de manière considérable d’un tribunal à l’autre. Autre indicateur dont la mise en place est urgente et indispensable : le taux d’efficacité.
Ce taux peut être obtenu en rapportant le nombre d’affaires infirmées ou cassées par le nombre d’affaires jugées par la juridiction inférieure.
Les avocats déplorent actuellement un nombre sans cesse croissant de jugements comportant des erreurs matérielles. Ces coquilles ne peuvent être rectifiées que par le dépôt d’une nouvelle procédure assez longue pour laquelle le justiciable doit s’acquitter du paiement d’une taxe.
Un délitement inévitable sans reddition des comptes
Hormis l’extrême pénibilité des diligences au greffe et des procédures, l’on assiste encore à des situations aberrantes. Par exemple, ces dossiers qui ont fait l’objet d’un appel adressé à la Cour d’appel de Guelmim, alors même que cette cour, qui existe en théorie… n’a pas encore été construite ! Les dossiers y sont bloqués à ce jour.
Les praticiens constatent de plus en plus de dysfonctionnements et des différences flagrantes d’application des procédures d’une juridiction à l’autre, sans que cela ne fasse l’objet de correctifs. Certaines procédures sont d’ailleurs appliquées de façon totalement différente d’une juridiction à l’autre. Avant l’indépendance du pouvoir judiciaire, le ministère de la Justice recevait, traitait et répondait dans de nombreux cas aux saisines.
Il inspectait régulièrement les juridictions, le travail des greffes et autres auxiliaires de justice. Aujourd’hui, une saisine adressée à l’Inspection du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) reste lettre morte et les juridictions semblent livrées à elles-mêmes.
L’arbitrage comme ultime refuge… sabordé par la pratique judiciaire
Pour échapper aux aléas des juridictions étatiques, de nombreuses sociétés nationales ou étrangères ont recours à l’arbitrage. Toutefois, ce mode alternatif de résolution des litiges est lui aussi tributaire de la justice classique, puisque les sentences arbitrales, pour être exécutoires, sont soumises à une procédure d’exequatur devant le juge étatique.
Or, ce qui est une formalité dans la grande majorité des pays adoptant une procédure rapide et non contradictoire est au Maroc un véritable parcours du combattant, la pratique judiciaire marocaine ayant décidé d’en faire une procédure contradictoire (c’est-à-dire avec convocation et présence des parties).
Certains juges ne se contentent pas de vérifier la conformité de la sentence avec l’ordre public et la Convention de New York, mais s’arrogent le pouvoir d’en rediscuter les faits et le droit, au mépris du principe même de la procédure arbitrale.
Résultat : certaines procédures d’exequatur de sentences arbitrales prennent au Maroc plus de temps que la procédure d’arbitrage elle-même. Le projet de code de l’arbitrage, bientôt à l’ordre du jour, compte d’ailleurs entériner cette pratique en adoptant le principe du contradictoire, et en vidant totalement de son sens la ratification par le Maroc de la Convention de New York.
L’intérêt de l’étude d’impact des lois est donc capital, à l’heure où nous déplorons une baisse substantielle de l’investissement étranger. Pas de développement économique sans une justice de qualité : la causalité est évidente.
Par Zineb Laraqui, avocate au Barreau de Marrakech et contributrice auprès de Doing Business (Banque Mondiale)
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