Conditions d’éligibilité, documents à produire, délais et déroulement de la procédure en détails… Voici tout ce qu’il faut savoir sur la procédure de sauvegarde, vue par les experts Maître Nawal Ghaouti et Mohamed Aarab.
Depuis le début de la pandémie et face à la crise financière qui en résulte, la procédure de sauvegarde a été mise en avant parmi les solutions juridiques offertes aux entreprises en difficulté.
Elle a fait l’objet d’analyses, de remises en question mais aussi d’une proposition de loi élaborée par le RNI dans le but d’adapter, de manière provisoire, la procédure de sauvegarde à la situation économique actuelle.
Une initiative attendue par les professionnels dont Maître Nawal Ghaouti, avocate au barreau de Casablanca. Celle-ci a exposé à l’occasion d’un webinaire aux côtés de Mohamed Aarab, expert-comptable, commissaire aux comptes et syndic auprès des tribunaux, l’intérêt de la procédure de sauvegarde mais aussi son déroulé pratique.
Organisé par l’Institut marocain des administrateurs ce mercredi 23 septembre, ce webinaire a été l’occasion de suivre, en immersion, la procédure de sauvegarde dans son intégralité.
Maître Ghaouti s’est penché sur les aspects juridiques de l’ouverture de la sauvegarde, tandis que l’intervention de Mohamed Aarab a porté sur la période d’observation.
De plus, Eric Cecconcello, Directeur général de Delattre Levivier Maroc, a partagé son expérience dans le cadre de cette procédure.
L’intérêt de la procédure de sauvegarde est l’anticipation
Avant l’institution de la procédure de sauvegarde en avril 2018, le code de commerce proposait, dans le cadre du traitement des difficultés d’entreprises, le redressement judiciaire et la liquidation judiciaire.
« Sachant que tous les espoirs portaient sur la procédure de redressement pour aider les entreprises à dépasser leurs difficultés, alors qu’elles étaient déjà en cessation de paiement, on a constaté que le redressement judiciaire n’a pas joué le rôle qu’on attendait de lui. Au contraire, la grande partie des entreprises qui arrivaient au tribunal en demandant ce traitement, terminaient en liquidation après de très longues années de procédure », déplore Maître Ghaouti.
Le résultat n’était bénéfique pour aucune des parties puisque l’entreprise débitrice ne survivait pas, les salariés perdaient leurs postes et les créanciers n’étaient pas désintéressés de leurs dus.
« Le constat était le même: les entreprises arrivaient trop tard », précise l’avocate.
« Malgré ce constat, il a quand même fallu attendre que la Banque mondiale nous presse et nous pousse à améliorer le dispositif que nous avons en matière de traitement des difficultés d’entreprises, pour l’adapter ou en tous cas l’harmoniser avec ce qui existe aujourd’hui dans la majeure partie des législations étrangères », ajoute-t-elle.
La procédure de sauvegarde permet donc d’anticiper et de proposer aux entreprises en difficulté financière un outil pour « assurer leur pérennité et leur survie », avant qu’elles ne soient en cessation de paiement.
« Toutes les entreprises en difficulté ne sont pas éligibles »
Le rôle de demander la sauvegarde est exclusivement accordé au chef d’entreprise. Le but étant de « renforcer le rôle du manager, quand bien même il connaît des difficultés, on estime qu’il est le seul apte à faire cette démarche », explique Me Ghaouti.
Cela dit, il ne suffit pas qu’une entreprise ait des difficultés financières pour être éligible à la procédure de sauvegarde.
En effet, selon l’article 561: « La procédure de sauvegarde peut être ouverte sur demande d’une entreprise qui, sans être en cessation de paiement, fait face à des difficultés qu’elle n’est pas en mesure de surmonter et qui pourraient entraîner dans un proche délai la cessation de paiement ».
« Cela signifie qu’il y a une double condition. D’abord que les difficultés dont doit faire état cette entreprise ont un caractère sérieux et exceptionnel et qu’elles peuvent entraîner de manière imminente une cessation de paiement, ce qui veut dire qu’il y a une urgence. La seconde condition est que ces difficultés sont insurmontables par les moyens habituels dont dispose l’entreprise ».
Ce n’est que dans le respect de ces conditions que le chef d’entreprise peut demander la sauvegarde.
« Cette demande est faite sous forme de requête judiciaire. L’avocat a pour rôle de la rédiger et la déposer au greffe du tribunal de commerce dont dépend l’entreprise ».
A partir de la date de dépôt, le tribunal dispose d’un délai de 15 jours pour statuer sur l’ouverture de la procédure de sauvegarde.
« Au niveau du tribunal de commerce de Casablanca, deux audiences par semaine sont prévues et ce, chaque lundi et jeudi. Si l’avocat dépose la requête le vendredi, l’audience sera programmée pour lundi », précise l’avocate.
Eric Cecconello témoigne, en tant que dirigeant d’entreprise en difficulté, de la rapidité et la « réactivité dans la pratique » qui permet « d’éviter que la situation ne s’aggrave ».
Dans l’esprit de la loi, qui tend à agir vélocement pour sauver l’entreprise, la procédure se déroule donc de manière rapide.
Dans ce sens, Maître Ghaouti insiste sur la préparation en amont tant sur le plan documentaire que psychologique du chef d’entreprise.
« Il a fallu un mois de travail pour que le dossier soit prêt », déclare M. Cecconello pour confirmer l’importance de la période de préparation.
« Cette procédure est le moment où le chef d’entreprise va être entendu et sous le feu roulant des questions qui lui seront posées, en présence du ministère public. Ce dernier veille à l’ordre public économique et à la préservation de l’emploi. Il faut donc être prêt, car à partir du moment où la requête est déposée les choses iront vite », précise l’avocate.
« Sans projet de plan de redressement, la demande sera rejetée »
Dans le cadre de la préparation documentaire, la requête doit être accompagnée de divers documents. Il s’agit notamment de:
-L’extrait du modèle 7 du registre de commerce;
-Le tableau des charges;
-La liste des salariés:
-Les états de synthèse;
-L’énumération et l’évaluation des biens mobiliers et immobiliers de l’entreprise;
-La liste des débiteurs avec leurs adresses
-La liste des créanciers avec leurs adresses
« Cette mention de l’adresse est très importante. Si elle n’est pas citée, le tribunal peut rejeter pour irrecevabilité de la demande« , fait savoir l’avocate.
Par ailleurs, cette dernière recommande également que « l’évaluation des biens mobiliers et immobiliers de l’entreprise soit effectuée par un expert extérieur à l’entreprise et ce, même si le texte ne l’exige pas ».
Dans le cas où un ou plusieurs de ces documents manquent au moment du dépôt de la requête, « le tribunal va demander au chef d’entreprise ou à l’avocat de compléter ou de s’expliquer. Par contre, il y a un document qui est obligatoire. S’il n’est pas déposé, la sanction est immédiate: la demande est automatiquement rejetée. Il s’agit du « projet de plan de sauvegarde ».
Selon l’article 562 du code de commerce, « le projet de plan de sauvegarde comporte tous les engagements nécessaires à la sauvegarde de l’entreprise, les moyens de maintenir son activité et ses financements, les modalités d’apurement du passif ainsi que les garanties accordées pour l’exécution dudit projet ».
Pour Maître Ghaouti, « les éléments à mentionner dans ce projet sont exposés de manière assez large à l’article 562 et ce, pour que chaque chef d’entreprise indique les détails au degré souhaité ».
De manière générale, il y a deux axes à évoquer; le premier porte sur les moyens pour désintéresser les créanciers et le second est relatif à l’avenir. Autrement dit, comment le chef d’entreprise se projette.
« Il ne faut pas hésiter à produire le maximum de documents lorsque, par exemple, le chef d’entreprise a des crédits bancaires en cours de validation. Si l’entreprise a décroché des marchés, même s’ils ne font pas l’objet de réception ou qu’ils ne sont pas facturés », recommande l’avocate.
« Il serait également intéressant de donner l’état d’avancement des procédures judiciaires que l’entreprise pourrait mener contre ses propres débiteurs, puisqu’il est possible qu’il y ait un recouvrement imminent. Il faudrait aussi évoquer les partenariats s’ils existent ou s’ils sont envisagés mais aussi s’attarder sur les indicateurs de l’entreprise, le nombre d’acteurs économiques qu’il y a dans le secteur d’activité, les évolutions possibles du chiffre d’affaire, etc. Le magistrat n’est pas censé connaître le domaine d’activité », ajoute-t-elle.
Quelles sont les conséquences de l’ouverture de la sauvegarde?
Lorsque le tribunal ordonne l’ouverture de la procédure de sauvegarde, cela engendre trois conséquences essentielles.
La première est que le chef d’entreprise conserve ses capacités, malgré le contrôle du syndic.
La seconde est relative à l’arrêt du paiement et des poursuites de toutes les créances antérieures au jugement d’ouverture.
« Cet arrêt ne concerne pas seulement l’entreprise débitrice mais aussi les cautions », déclare Me Ghaouti.
Enfin, les créances nées après l’ouverture de la procédure bénéficient d’un privilège particulier. Cela s’inscrit dans le cadre de la « logique économique du texte », puisque le but recherché est « clairement d’inciter les investisseurs ou partenaires à prêter ou investir de l’argent dans l’entreprise en sauvegarde ».
« L’ouverture de la procédure n’est pas irréversible »
Selon Maître Ghaouti, cette procédure qui permet de créer une « bulle de protection et un parapluie judiciaire » pour l’entreprise est un dispositif que les magistrats utilisent car ils sont « rassurés par la passerelle organisée par le législateur, entre la sauvegarde et le redressement judiciaire ou la liquidation ».
« La sauvegarde, même si elle est accordée, n’est pas irréversible. Autrement dit, si le magistrat reçoit un document ou une information qui lui fait comprendre que l’entreprise est en cessation de paiement (que ce soit lors du dépôt de la requête ou pendant la période d’observation), il est en droit de commuer le statut de sauvegarde et mettre l’entreprise en redressement ou liquidation judiciaire. C’est ce point de bascule possible qui donne un peu de souplesse et autorise les magistrats à accorder cette sauvegarde ».
Période d’observation: ce qui se passe après l’ouverture
La période d’observation est fixée à 4 mois, renouvelable une seule fois.
Après l’ouverture de la procédure de sauvegarde, le syndic « va essayer de diagnostiquer et inventorier pour savoir quelle est la situation réelle de l’entreprise. Parce que pour dresser un plan de sauvegarde, il faut connaître le bilan financier, économique et social de l’entreprise », explique M. Aarab.
Le bilan du syndic devra être transmis au juge commissaire dans le respect du délai suscité et ce, conformément aux dispositions de l’article 595 du code de commerce.
Dans son alinéa 4, l’article dispose que « l’affaire est enrôlée après l’écoulement de 10 jours à compter de la date de remise du rapport au juge commissaire ou à compter de l’expiration du délai précité » (soit 8 mois en cas de renouvellement).
Pour établir le bilan financier, le syndic devra « inventorier les immobilisations et les titres de participation, avant d’analyser le stock et éliminer, par exemple, les produits périmés. Dans ce cas, le stock sera diminué et cela sera mentionné dans son rapport », ajoute-t-il.
« Le syndic devra contacter tous les clients et vérifier que le solde qui figure dans le bilan de l’entreprise est correct. S’il s’avère que la situation financière de l’entreprise est compromettante le statut de sauvegarde sera commué en redressement ou en liquidation judiciaire ».
Le bilan économique permet, quant à lui, d’avoir une vision macro-économique. L’objectif est de savoir si tout le secteur est sinistré, si les clients de l’entreprise sont fidèles, si le produit est dépassé ou bien s’il est toujours porteur d’intérêt etc. »
Enfin, le bilan social concerne le personnel de l’entreprise. « En général, c’est le chef d’entreprise qui le fait », déclare M. Aarab.
« Ce dernier convoque le représentant du personnel et parfois les représentants du syndicat. Il se penche sur les retards de paiement des salaires, des organismes sociaux, sur les licenciements éventuels etc. »
Pour M. Aarab, l’une des étapes les plus importantes après l’ouverture de la procédure est celle de « la manifestation des créances ».
« Le tribunal va demander à chaque fournisseur de déposer sa créance auprès du syndic. Celui-ci va convoquer chaque créancier, en présence du chef d’entreprise. A la suite de quoi, le syndic rédige un rapport qui est transmis au juge commissaire. Ce dernier va à son tour convoquer tous les fournisseurs accompagnés de leurs avocats ainsi que le chef d’entreprise. Dans le cas où ils n’arrivent pas à trouver de consensus concernant les créances, le juge commissaire demandera une expertise pour analyser toute la comptabilité et démêler le vrai du faux ».
Etablissement du plan de sauvegarde
Il s’agit d’une « étude financière et commerciale établie sur les prévisions dans un horizon de 5 ans. Elle repose également sur l’étude du passé et des capacités de production de l’entreprise », explique M. Aarab.
« Le chef d’entreprise établi un projet de plan de sauvegarde, dans lequel il se projette et détermine un chiffre d’affaire pour chaque année. Le rôle du syndic est de s’assurer qu’il s’agit d’un projet réalisable. Pour ce faire, il devra se pencher sur les derniers chiffres d’affaires de l’entreprise, étudier les charges, les prévisions d’achat des marchandises et de matières premières suivant le type d’activité (vente en l’état ou en transformation), déterminer un résultat net (entre produit et charge) en y ajoutant les amortissements, établir les besoins en investissements etc. »
Le tribunal fixe une durée pour l’exécution du plan de sauvegarde, sans excéder 5 ans. Tandis que la procédure de redressement judiciaire « peut s’étaler sur 8 à 10 ans ».
Enfin, le syndic devra exposer sa position par rapport au plan de sauvegarde (s’il l’approuve ou non, s’il propose des modifications ou s’il recommande le redressement ou la liquidation judiciaire), mais la décision finale revient au tribunal.