– L’Economiste: A part son mode d’élection, que faut-il réformer dans le Conseil supérieur de la magistrature?
– Mostafa Fares: La révision de ses statuts est incontournable. Il faut élargir ses compétences et lui octroyer de manière exclusive la gestion de la carrière des magistrats. Le Conseil supérieur de la magistrature doit être doté d’un budget autonome et de son propre siège. En rendant ses sessions ouvertes, cela éviterait les délégations et les suspensions momentanées de son activité. Une révision du règlement intérieur du conseil et du mode d’élection de ses membres s’impose. Plus de rigueur dans les critères d’éligibilité: un magistrat qui se porte candidat ne devrait pas avoir de responsabilités individuellement (président de tribunal, procureur général…) et encore moins être lié avec le ministère de la Justice. Pour siéger au conseil, il faut avoir au moins 20 ans de carrière. La promotion de ses membres doit être gelée durant tout leur mandat. Une commission, composée de juges de la Cour suprême, en assurerait le contrôle. Evidemment, ses membres ne devraient pas se porter candidats aux élections. Une partie des sièges du conseil doit être réservée aux femmes-juges.
– La révision des statuts des magistrats est-elle indispensable à leur indépendance?
– Des conditions financières (salaire, retraite…) dignes du statut d’un magistrat. Voilà un des préalables de l’indépendance. Le protéger contre l’influence du pouvoir exécutif et législatif est de mise. L’on parle assez rarement des risques liés à la profession de juge: l’agression commise par un justiciable est toujours envisageable.
Il faut par ailleurs prémunir les magistrats contre le pouvoir du président d’une juridiction et du ministère de la Justice. Ne plus lier également la promotion des juges aux notes d’évaluation. Il est recommandé d’accorder ce droit aux magistrats de la Cour suprême. Sinon, l’avancement doit être automatique et ne dépendre ni des recommandations ni de la disponibilité d’un poste budgétaire.
Pourquoi ne pas charger une commission, composée des présidents des chambres des juridictions, de répartir les affaires entre les magistrats. Une répartition équitable qui se ferait selon la compétence des chambres (sociale, civile, délictuelle…). S’il y en a plusieurs qui statuent dans la même matière, il faut distribuer les dossiers en respectant la numérotation (1re chambre, 2e chambre…). C’est ce qui se fait d’ailleurs au niveau de la Cour suprême. Il serait judicieux de généraliser cette solution à toutes les juridictions. En créant le poste de «doyen des juges d’instruction», celui-ci confierait les affaires à instruire au lieu du procureur général.
– Estimez-vous que la justice de proximité soit une solution pour désengorger les tribunaux?
– L’échec des tribunaux communaux et d’arrondissements s’explique essentiellement par le fait qu’ils sont soumis au pouvoir exécutif. C’est le cas notamment lorsqu’il s’agit d’élire leurs juges ou d’exécuter une procédure. Leurs compétences limitées sont également en cause. Il faut supprimer ces tribunaux au profit d’une justice de proximité ou de réconciliation. Ce serait plutôt les juges, greffiers et fonctionnaires retraités qui y siègeraient. Ils ne devraient pas être élus car cela risque d’engendrer des juges-partisans: des élections supposent l’organisation d’une campagne et donc le soutien des partisans. En revanche, la simplification des procédures et l’élargissement des compétences des tribunaux de proximité sont essentiels. Leur création va permettre d’alléger jusqu’à 50% le nombre des litiges soumis aux juridictions ordinaires.
– En matière pénale, quelles sont les réformes les plus urgentes?
– Il faut commencer par réfléchir sur les peines alternatives. La prison n’est pas toujours la bonne solution. Le recours automatique à la détention provisoire doit être banni: payer une caution ou interdire à une personne mise en cause de quitter le territoire sont parmi les mesures prévues par le code de procédure pénale. L’aveu judiciaire doit donner droit à un allègement de moitié de la peine pénale. Une telle option réduirait les délais de traitement. La réconciliation devrait être possible à n’importe quelle étape de la procédure. Notre législation pénale est basée sur l’idée de vengeance. D’où l’intérêt d’élargir la procédure de réconciliation à certains délits et crimes. Aussi est-il louable de conférer au procureur du roi le droit de déclencher l’enquête préliminaire. Et d’activer les dispositions légales relatives au rôle du juge d’instruction et de la chambre délictuelle en chapeautant notamment les officiers de la police judiciaire. Ces propositions accorderaient plus de garanties aux justiciables.