Dès lors qu’on parle de réforme de la justice, les regards se braquent sur les magistrats. «Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir», écrit Jean de la Fontaine dans ses Fables.
Autour de ce corps gravitent pourtant plusieurs professionnels du droit. Il ne sert à rien qu’experts judiciaires, avocats, huissiers de justice… se jettent la balle.
D’autant plus que l’enquête 2008 de Maroc Transparency souligne que l’indice de corruption le plus élevé (3,6 sur 5) revient au système judiciaire. La police, les services médicaux et la douane viennent respectivement juste après. Il n’en demeure pas moins que le juge est un maillon essentiel de la chaîne: il applique la loi en ayant recours à son intime conviction notamment.
Le juge est un fonctionnaire assermenté qui touche 8.000 DH en début de carrière et 30.000 DH à la fin. Soulignons que le budget du ministère de la Justice est de 749 millions de DH en 2009, dont 36% sont réservés au fonctionnement. Et qu’en est-il alors de l’indépendance de la justice? Le président de l’Amicale Hassania des magistrats, Mostafa Fares, commence par les fondamentaux: «des conditions financières dignes du statut d’un magistrat» (voir p.11).
Fares, également procureur général près la cour d’appel de commerce de Casablanca, est une «valeur sûre» de la magistrature. Il a statué dans de grands procès, notamment l’affaire Slimani & Laâfoura. Le groupement qu’il préside rassemble les 3.165 juges que compte le Maroc. Avec ses dix bureaux régionaux, l’Amicale vise à «sauvegarder les droits des magistrats ainsi que l’indépendance de la justice et sa dignité». Dans ce débat sur la réforme, il n’y a pas que le statut des magistrats qui est à revoir. L’exécution des jugements est l’une des grandes tares de la justice. «Expertise à deux sous et exécute-moi si tu peux!», résume ironiquement le rapport d’inspection générale 2007-2008 (cf. www.leconomiste.com). Les magistrats-inspecteurs ont contrôlé 40 juridictions. Les huissiers de justice se chargent en principe d’exécuter les jugements. Le rapport souligne pourtant qu’ils «ne sont pas contrôlés». Des administrations et établissements publics ne se plient pas à la loi ou difficilement.
L’Inspection générale révèle même qu’un «magistrat n’a pas communiqué une décision de mise en liberté…». Faudrait-il alors renforcer le rôle du juge des peines et instituer un juge de notification?
Sur ce point, le président de l’Amicale a son idée: le juge de notification «sera chargé de contrôler les huissiers de justice». Il va falloir amender les procédures de notification et «en finir aussi avec les difficultés quotidiennes liées à la désignation d’un curateur». Celui-ci est chargé d’assister un majeur souffrant de déficiences mentales ou prodigue notamment. Quant au juge des peines, en plus du contrôle des pénitenciers relevant de sa juridiction, «il exécuterait les peines financières (…) et se verrait déléguer aussi le droit de fractionner la peine et de la réduire». De ce fait, «un seul intervenant» sera responsable de l’exécution de la loi.
Un constat chiffré
L’Inspection générale -ministère de la Justice- a enregistré l’année dernière 862 plaintes. Elle a relevé 84 cas de corruption, 69 cas de non-respect de déontologie, 102 fautes professionnelles. La situation est au rouge dans pratiquement toutes les grandes villes: Oujda, Tétouan, Marrakech, Fès, Casablanca … Un tribunal traite en moyenne 10.000 dossiers par an. Les 30 millions de justiciables disposent en tout et pour tout de 3.165 magistrats. Ils sont une douzaine par instance. Avec 800 affaires par mois, ils n’ont que 7 minutes à consacrer à chaque dossier.
Faiçal FAQUIHI