Vouloir revisiter la Constitution est légitime et légal. Une Constitution n’est pas un document immuable ou figé. Elle n’est qu’une réponse juridique à des interrogations et à des problématiques politiques précises.
Au Maroc, après les révisions constitutionnelles survenues en 1992 et 1996, l’heure semble être venue pour réformer la loi fondamentale en perspective notamment de la régionalisation imminente. La demande démocratique sembla longtemps être la chasse gardée du mouvement associatif et des partis de l’extrême gauche lesquels portaient un regard revendicatif assez radical, notamment sur la question de la définition des contours des pouvoirs du Roi, sur celle de l’accroissement des attributions du gouvernement et sur la présentation de tout un cahier de doléances quant à une meilleure garantie des droits et libertés. Les partis de la Koutla alors au pouvoir semblaient plutôt discrets sur la question et avançaient même l’idée selon laquelle il fallait tout simplement se contenter de bien appliquer la Constitution ou se préoccuper de prioriser la lutte contre l’analphabétisme.
Pas de «décret d’évolution»
Pourtant, ces derniers temps, une idée semble faire son chemin: il s’agirait d’opter pour une monarchie parlementaire. Qu’est-ce que l’on entend par là? Y a-t-il consensus sur la question?
L’évolution des régimes ne se décrète pas, elle reste tributaire des processus historiques. La monarchie parlementaire britannique a mis quelques siècles avant de s’inscrire dans la durée et la stabilité jusqu’à devenir le berceau et le modèle du parlementarisme. Au Royaume-Uni, ce n’est que lorsque le Roi s’est trouvé affaibli, que lorsque sa légitimité s’est trouvée contestée que les chambres ont profité de cette occasion pour limiter ses pouvoirs et accroître les leurs.
Au Maroc, peut-on dire que le Roi se trouve dans une situation similaire?
La monarchie n’apparaît-elle pas, bien au contraire, drapée d’une légitimité démocratique et sociale toute neuve, tirée de ses diverses interventions dans les domaines institutionnels, les espaces des libertés et le champ du social. Il convient de se reporter à cet égard aux réalisations relatives notamment à la réforme du code de la famille, aux conclusions de l’IER, et aux chantiers de l’INDH…
A l’heure d’engager une réforme constitutionnelle, il faudrait pouvoir négocier, envisager un grand débat national, avancer des pions, évaluer les enjeux, etc.
A cet égard, ne faudrait-il pas évaluer le rapport de force Monarchie/Koutla /PJD? Et que pensent les autres partis de la proposition de monarchie parlementaire?
Maintenant, si le souhait d’une monarchie parlementaire «moniste» (voir encadré) se confirmait, encore faudrait-il avoir à l’esprit les interventions royales clairement en faveur d’une monarchie exécutive. Qui voudrait scier la branche sur laquelle il est assis?
Compatibilité avec la régionalisation
Si le pouvoir constituant régionalisait (comme le prévoit le plan d’autonomie sur le Sahara, et comme annoncé par le Roi dans son dernier discours), et qu’une séparation des pouvoirs se dessinait verticalement, le pouvoir central disposerait de moins de pouvoir. C’est le principe même de la régionalisation délégataire et répartitrice et celui de la subsidiarité. Le pouvoir central partagerait un nombre conséquent de compétences avec les régions. Est-il judicieux et prudent, lorsque l’on est dans une logique de régionalisation importante, d’affaiblir la royauté qui incarne l’unité de l’Etat?
Parallèlement, la monarchie parlementaire sous-entend la responsabilité du cabinet devant les Chambres, mais également l’élargissement des droits et libertés afin d’éviter tout arbitraire. N’est-ce pas dans ce sens que les revendications devraient aller, dans l’accroissement des autres pouvoirs et dans l’élargissement de l’espace des libertés?
Un gouvernement plus autonome auquel des compétences importantes pourraient être déléguées (pouvoir procéder à des nominations, par exemple), un Parlement disposant de plus de prérogatives, un judiciaire réellement indépendant, des libertés mieux garanties par la Constitution, des libertés locales, la saisine individuelle du Conseil constitutionnel, l’égalité des sexes inscrites sur les tables de la Constitution, la supériorité des conventions internationales sur les lois internes, etc.
D’abord les comportements
Par ailleurs, stratégiquement parlant, dans un processus de révision constitutionnelle, il est plus simple d’ajouter des dispositions que d’en supprimer, surtout si celles qui sont visées sont sensibles ou disposent d’une charge historique et religieuse prégnante.
L’ouverture du régime et les différentes mises à niveau institutionnelles et normatives, les ratifications de conventions protectrices des droits de l’homme, les conclusions de l’IER, les toutes récentes levées des réserves concernant la femme, tout ceci va dans le sens du mouvement, du changement et de la transition démocratique. Pour accompagner un tel mouvement, la Constitution serait donc logiquement à revoir, à démocratiser, à rééquilibrer et à moderniser, et à cet égard, la régionalisation constituerait alors un sérieux alibi.
Mais au-delà de toutes ces remarques juridiques, politiques ou historiques, ce sont des comportements, des attitudes, des réflexes qu’il faudrait pouvoir modifier. Et à leur place développer des attitudes de saine critique, tenter d’implanter ici et là les germes d’une citoyenneté qui pourrait être inédite dans le monde arabe. Dans ce sens, les contrepouvoirs institutionnels n’ont-ils pas du travail à faire sur eux-mêmes? Nous pensons notamment à certaines jurisprudences «culturalistes», carrément aberrantes, et aux atermoiements de certains pouvoirs dès que la prise de décision leur apparaît comme sensible… Bref, à ce que La Boétie a si cruellement appelé la «servitude volontaire»… A ceux qui en font trop, à ceux qui renchérissent, à ceux qui, au nom de servir la monarchie, la desservent…
Si le Roi ne gouvernait plus…
Si la monarchie parlementaire souhaitée s’accompagnait de la suppression de l’article 19, les partis politiques se positionnant dans le champ religieux disposeraient alors du leadership dans ce domaine. Or, en faisant du Roi le Commandeur des croyants, la Constitution le place en première ligne de défenseur de la foi comme la reine d’Angleterre par ailleurs, et le porte-parole de la religion. La gestion et la diligence subtiles de la réforme du code de la famille ont montré que la monarchie a su opter pour le concordisme et le réformisme. Dès lors, Islam des lumières ou Islam populiste?
Si le Roi ne gouvernait pas, qui pourrait le faire au regard de l’état du champ politique actuel?
La gauche? Dispose-t-elle d’une assise politique suffisante pour le faire eu égard au revers qu’elle a pris lors des dernières législatives et aux difficultés qu’elle a eues à réunir son congrès et à élire ses instances? Désavouée par l’électorat (5e place), a-t-elle la légitimité pour demander une telle révision?
Des partis religieux pourraient récolter alors la gouvernance. Quid du camp du progrès? Qu’adviendra-t-il des acquis notamment en ce qui concerne les droits humains et la condition de la femme?
Evitons les guerres des mots
D’aucuns disent que devant «la guerre des mots», il faut «faire d’abord le nettoyage de la situation verbale».
Tout d’abord, rappelons que la monarchie marocaine est considérée comme constitutionnelle, en ce sens au moins où les pouvoirs du Roi sont encadrés par la Constitution, nonobstant l’interprétation qui peut être faite de l’article 19.
Ensuite, la monarchie est déjà parlementaire, au sens constitutionnel du terme ou plus exactement «parlementaire dualiste ou orléaniste» (voir encadré ci-contre).
Lorsque, au Maroc, est réclamée l’instauration d’une monarchie parlementaire, c’est du monisme qu’il est question, c’est-à-dire, en termes plus simples, d’un gouvernement fort responsable devant le Parlement uniquement, ce qui transformerait la fonction de la monarchie en inauguration de chrysanthèmes.
Dans le régime parlementaire moniste, le chef de l’Etat n’a aucun rôle politique. Cette revendication est-elle transposable au Maroc?
Quand la majorité est faible
Comment choisir le Premier ministre?
Dans les dédales des multiples revendications sur la réforme constitutionnelle, figure celle de contraindre le Roi à nommer, comme Premier ministre, une personnalité, sinon le leader, du parti ou de la coalition qui a obtenu la majorité.
Cela correspond bien évidemment à l’esprit du parlementarisme.
De fait, cela a déjà été fait, avec l’alternance et aujourd’hui avec Abbas El Fassi.
Pour autant, doit-on tout transcrire, est-ce utile et prudent? Si la majorité est faible, le Roi se trouverait dans une situation délicate: qui nommer? Un Premier ministre même minoritaire? Et pourquoi pas un technocrate en cas d’absence de majorité franche? Aujourd’hui, dans toute vie institutionnelle, deux types de légitimité se combinent, l’électorale issue des urnes et la professionnelle issue de la compétence, du savoir et de l’expertise, le Maroc a besoin crucialement des deux.
Moniste de droit, dualiste de fait
En droit comparé, et au regard de l’histoire, la monarchie parlementaire a connu un développement surtout dans le cadre de la monarchie constitutionnelle impliquant la synthèse entre le Roi et le Parlement.
Un tel dualisme consistait en ce que le gouvernement se trouvait ainsi doublement responsable devant le Roi et devant le Parlement. Il y régnait une collaboration souple des pouvoirs où la possibilité pour le Parlement de faire chuter un gouvernement était contrebalancée par la latitude pour l’exécutif de dissoudre le Parlement. Cette capacité de «destruction réciproque» s’est imposée en Grande-Bretagne au XVIIIe siècle, en réaction à l’absolutisme monarchique. La configuration dualiste avait amené la doctrine alors à considérer cette phase comme transitoire et intermédiaire entre l’absolutisme et le monisme dans la mesure où le gouvernement se trouvait redevable par rapport à deux entités d’inégals poids et importance.
Plus tard, la conjonction de la montée en puissance des forces populaires et de la baisse du pouvoir royal contribua à l’émergence d’une monarchie parlementaire moniste (formée d’un seul élément, par apposition au système dualiste, en deux parties): le gouvernement ne rend compte qu’au Parlement dont il est issu, ce qui petit à petit, mais définitivement, conduit à affaiblir le pouvoir royal en faisant de lui un souverain qui règne mais ne gouverne plus (GB, Espagne, Belgique, etc.).
La France dont le régime politique, du fait de la prééminence du chef de l’Etat, oscille entre parlementarisme et présidentialisme, vit également sous le monisme parlementaire. Le gouvernement n’y est responsable que devant le Parlement.
Cependant, et hormis en période de cohabitation, certains présidents de la République ont pu congédier leurs premiers ministres (qui avaient encore la confiance de l’Assemblée nationale) dont on peut citer les «départs» les plus marquants, à savoir Chaban-Delmas en 72, Rocard en 91 et Cresson en 92. Ce qui veut dire qu’en France, si le régime est parlementaire moniste en droit, il est dualiste de fait et cette situation n’est pas sans rappeler le cas marocain.