L’année 2016 marque un tournant dans l’activité des tribunaux de commerce. Les magistrats, désormais mieux formés et donc mieux outillés, assimilent mieux les données techniques qui leur sont présentées et donc traitent les affaires avec une meilleure célérité. Ainsi, avec 31 568 affaires jugées, 23 547 enregistrées et 20 659 en cours, les juridictions commerciales connaissent une hausse de 4% de leur activité globale à fin novembre 2016 par rapport à la même période en 2015, avec des délais de jugement plus réduits. Comme à l’accoutumée, les effets de commerce constituent plus de la moitié des affaires jugées. Néanmoins, on peut noter une hausse significative des contentieux relatifs aux fonds de commerce, qui sont passés de moins de 4 000 affaires jugées en 2015 à plus de 7 000 cette année, soit une hausse de presque 75% !
Une hausse aussi significative implique nécessairement un travail de recherche supplémentaire pour les juges. Car malgré la promulgation de la nouvelle loi sur le bail, certains points restent occultes et nécessitent un travail d’approfondissement. Ainsi, lors de la cession d’un fonds de commerce, les magistrats considèrent désormais que la clientèle, qui est l’élément garant du maintien du courant d’affaires, ne peut être potentielle. Par exemple, les juges ont considéré que la personne qui possède un «garage sans l’exploiter n’a qu’une clientèle potentielle qui ne peut former un fonds de commerce». La définition de la clientèle peut donc poser problème notamment lorsqu’un commerçant exerce son activité dans l’enceinte d’un autre établissement (par exemple un magasin dans une galerie marchande d’une grande surface). A ce sujet, la jurisprudence a évolué : elle exigeait auparavant que la clientèle autonome doit représenter une part prépondérante de l’activité du commerçant. Désormais, les magistrats des tribunaux de commerce admettent que la clientèle puisse être partiellement autonome. Donc le franchisé qui profite de la marque et de l’enseigne d’un tiers peut être considéré comme disposant d’une clientèle propre. La jurisprudence se base surtout sur la gestion indépendante.
Les contrats de vente plus flexibles
Pour le reste, les juges donnent plus de liberté aux parties de fixer les éléments du fonds de commerce devant figurer dans le contrat de cession. Ainsi, la Cour d’appel commerciale de Casablanca a infirmé un jugement qui annulait une cession de fonds de commerce pour vice de forme. Elle a ainsi énoncé qu’il n’est pas nécessaire que tous les éléments du fonds de commerce figurent dans le contrat. Mais cette liberté donnée par les juges quant aux dispositions relatives au contrat de vente de fonds de commerce n’est pas absolue. «Les éléments essentiels nécessaires à la conservation de la clientèle doivent être compris dans l’acte», précise la Cour. Il s’agit principalement de l’enseigne, du nom commercial, de la clientèle et de l’achalandage, du droit au bail, marchandises et matières premières estimées, et des objets mobiliers et matériels servant à son exploitation. Les magistrats sont même allés jusqu’à considérer qu’il y a cession d’un fonds de commerce dès lors qu’il y a cession de l’élément caractéristique qui retient la clientèle. Par ailleurs, les juges ont imposé à un cédant de déclarer les bénéfices nets et réels et non pas bruts, «ces dernier pourrait tromper l’acheteur sur l’importance du bénéfice réel pouvant être réalisé sur le fonds». Si par exemple le propriétaire du fonds n’était pas le commerçant et que le fonds était en location gérance ou gérance libre, le propriétaire qui ne connaît sans doute pas le montant du chiffre d’affaires et les bénéfices réalisés par le gérant pendant les 3 dernières années doit rechercher ces renseignements, les vérifier et les déclarer.
Cependant, ce travail d’innovation des juges des juridictions commerciales peut être censuré par la Cour de cassation. Une Cour d’appel avait requalifié une cession de parts de SARL en cession de fonds de commerce afin de l’annuler pour non-respect des règles de forme. La Cour de cassation a alors cassé cet arrêt, considérant qu’on ne peut assimiler une cession de parts sociales à une cession de fonds de commerce.
· Il s’agit désormais d’une jurisprudence commune. Dans le cadre d’une procédure collective, et s’agissant de sociétés appartenant à un même groupe, les magistrats n’ont cesse de réaffirmer le principe selon lequel «il convient d’apprécier l’examen des capacités de chacune des sociétés du groupe, et non pas les perspectives de redressement du groupe», reprenant ainsi le principe d’autonomie juridique des personnes morales qui le composent. Ce qui est «contraire à l’esprit de la loi», selon le dernier rapport de l’USAID sur le traitement des difficultés d’entreprises. L’organisme appelle à l’instauration d’un mécanisme de «coopération et de communication, et même de coordination, entre juridictions et praticiens de l’insolvabilité, qui examinent s’il existe des possibilités de restructurer les membres du groupe qui font l’objet de la procédure d’insolvabilité, et, si tel est le cas, joignent leurs efforts en vue de proposer et de négocier un plan de restructuration coordonné».
ABDESSAMAD NAIMI
Les litiges relatifs aux fonds de commerce en hausse de 75% !