Le Conseil de la concurrence enterré

Le Conseil de la concurrence enterré

Publié le : - Auteur : L'Economiste

Docteur d’Etat en droit privé, Farid El Bacha est professeur de l’enseignement supérieur à l’Université Mohamed V, Faculté de droit de Rabat Agdal où il enseigne le droit civil et le droit des affaires depuis 1984. Chef du département de droit privé et membre de l’équipe de recherche et de formation de la Chaire Unesco des droits de l’Homme de la même faculté, le professeur El Bacha préside le Centre marocain des études juridiques

Singulière destinée que celle du Conseil de la concurrence! Créé par la loi 6/99 sur la liberté des prix et la concurrence, il avait été unanimement salué en tant qu’espace et organe consultatif de régulation des mécanismes du marché. Dans une économie libérale, le rôle du droit est en effet de servir de cadre juridique au fonctionnement régulier de ses mécanismes, de ses acteurs, d’assurer l’effectivité de la compétition économique, d’arbitrer la partie que joue les compétiteurs, de réguler ce jeu et donc de limiter l’espace livré à ce jeu lorsque les effets de la compétition se révéleraient insupportables, porteraient une atteinte grave à l’économie du pays et à l’intérêt des consommateurs. De plus, on a pu considérer que l’efficience du dispositif de régulation constituait une dimension essentielle dans les négociations internationales et dans l’attraction de l’investissement étranger.
Rapidement, le monde des affaires a dû déchanter. Le Conseil allait être frappé d’une étrange paralysie… N’ayant pu voir le jour qu’après plusieurs années d’âpres discussions, il allait sombrer juste après dans un coma profond à un moment où l’environnement concurrentiel était en pleine mutation et où se multipliaient les litiges qui appelaient son intervention…
Il a fallu attendre le 20 décembre 2001 pour la nomination du président et des membres du conseil… Ce n’est qu’en mars 2002 que le Conseil adoptera, apparemment dans un état de dernière maladie -celle dont on ne se remet jamais- son règlement intérieur! Depuis, le président a démissionné et le mandat des membres a expiré! Réactions, interprétations et analyses se sont alors multipliées pour connaître les causes exactes de cet étrange décès d’une institution que tout prédisposait à une longue vie: une base juridique, une présidence, des membres nommés et aux compétences avérées, un environnement propice à la régulation et à la consultation, un vaste processus de modernisation et de mise à niveau de notre droit des affaires…
Certains ont attribué le décès de fait du conseil à la personnalité du président et à son peu d’entrain, d’autres au manque de moyens, d’autres enfin aux compétences limitées et à l’absence d’un véritable pouvoir décisionnel de l’institution… Une absence qui aurait même conduit l’Union européenne à «demander au Maroc de revoir les attributions du conseil».
Depuis, c’est l’accalmie et une certaine indifférence liée à une dévalorisation de la fonction consultative… Une fonction pourtant fondamentale dans toute société démocratique. Il a fallu attendre la déclaration gouvernementale de l’actuel gouvernement pour qu’il soit de nouveau question de «dynamiser le Conseil de la concurrence afin qu’il puisse exercer ses missions et veiller au respect des principes de la concurrence loyale et lutter contre les pratiques anticoncurrentielles…». Comment cette dynamisation s’est-elle traduite? Par la décision du Premier ministre d’enterrer le Conseil de la concurrence en consacrant son ministre des Affaires économiques et générales unique héritier!
En effet, après avoir reconnu -et ce type de reconnaissance est une première pour un décret- que le Conseil n’a pas été «en mesure de fonctionner conformément à son texte institutif (sic)», un décret du 15 novembre 2007 confie au ministre délégué chargé des Affaires économiques et générales les attributions dévolues au Conseil de la concurrence!
Or la loi 6/99 a confié au Conseil de la concurrence des attributions consultatives, aux fins d’avis, de conseil ou de recommandations en matière de pratiques anticoncurrentielles et de concentrations. Il n’appartient donc pas à un décret de remettre en cause une loi en confiant ces attributions, même de manière provisoire, à une autre autorité. Il s’agit d’un empiètement manifeste sur le domaine et la compétence législatifs et le Parlement n’y pourra pas grand-chose car dans l’état actuel du droit marocain, il n’a ni l’occasion ni le droit de contrôler cet empiètement.
Un gouvernement qui reconnaît qu’une institution légale n’a pas été en mesure de fonctionner normalement doit en comprendre les raisons et suggérer des mesures susceptibles de créer les conditions d’un fonctionnement normal. Il n’est pas sain qu’à défaut de pouvoir activer des institutions légales, on en vienne à transférer à d’autres leurs attributions… Et ce n’est encore pas un signe de bonne gouvernance juridique que de le faire au mépris du respect des règles de compétences. Il n’y a pas pire pour une démocratie que la confusion des rôles et des pouvoirs! Ce décret illégal subira-t-il le même sort que celui qui avait tenté de mettre les trois agences de développement sous la tutelle du ministère de l’Habitat?!


Réduit à la dimension administrative

La loi sur la liberté des prix et de la concurrence a créé le Conseil de la concurrence sur la base d’une composition qui intègre, au côté d’experts en matière juridique, économique, de concurrence ou de consommation, des représentants de l’administration, et des secteurs de production, de distribution ou/et de services. Le décret du 15 novembre 2007 qui confie au seul ministre délégué chargé des Affaires économiques et générales les attributions dévolues au Conseil réduit ce dernier à sa seule dimension administrative, au détriment de la fonction consultative élargie.

 

Source : http://www.leconomiste.com/ du 23 mai 2008

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