Farid El Bacha, docteur d’Etat en droit privé, est professeur de l’enseignement supérieur à l’Université Mohamed V, Faculté de droit de Rabat Agdal où il enseigne le droit civil et le droit des affaires depuis 1984. Chef du département de droit privé et membre de l’équipe de recherche et de formation de la Chaire UNESCO des droits de l’Homme de la même Faculté, le professeur El Bacha préside le Centre Marocain des Etudes Juridiques.
La «police privée» est désormais encadrée par le droit. La loi 27/06 du 30 novembre 2007 relative aux sociétés de gardiennage et de transport de fonds, constitue la première réglementation d’ensemble des activités de sécurité privée, abrogeant des textes anciens, laconiques et dépassés. Cette nouvelle réglementation était devenue nécessaire face à la nette augmentation du nombre des entreprises de sécurité privée et à la nécessité pour l’Etat de veiller à ce que leurs services -dont l’utilité ne peut être méconnue face aux besoins accrus de sécurité- s’exercent dans le respect du droit et des libertés des personnes. Il était également impératif de prévoir une série de règles afin d’éviter la confusion des services de sécurité privée et des services de sécurité publique: sûreté nationale, gendarmerie… La loi encadre -et c’est son champ d’application- les services ayant pour objet la surveillance ou le gardiennage de lieux publics ou privés,de biens meubles et immeubles et de la sécurité des personnes qui s’y trouvent; les activités qui consistent à transporter et à protéger, jusqu’à leur livraison effective, des fonds ou autres documents impliquant des sommes d’argent. Ces activités sont aujourd’hui soumises à autorisation. Une autorisation qui pourra être retirée lorsque son titulaire cessera de remplir les conditions exigées pour sa délivrance (art. 7 de la loi). Cette autorisation pourra également être retirée ou suspendue immédiatement par l’autorité compétente en cas d’urgence ou de nécessité tenant à l’ordre public. Les entreprises de sécurité privée ont déjà eu l’occasion d’exprimer leurs appréhensions et leurs craintes de voir les autorisations retirées sur la base de motifs de type ouvert : « urgence», «ordre public» alors surtout que la suspension et le retrait pourront intervenir, dans ces cas, sans procédure contradictoire préalable. La loi soumet en outre les activités de gardiennage et de transport de fonds à un contrôle du respect de la réglementation effectué par les officiers de police judiciaire et des agents spécialement habilités à cet effet. Un contrôle que les entreprises souhaitent «dynamique et pas inquisitoire»! Au registre de l’encadrement, il faut encore observer que le personnel des entreprises de sécurité a fait l’objet d’une attention particulière du législateur. Pour être autorisées, les entreprises doivent en effet s’engager à n’employer qu’un personnel remplissant les conditions prévues par la loi pour effecteur les activités prévues.Tout recrutement devra au préalable faire l’objet d’une déclaration auprès de l’autorité compétente avec indication de l’affectation, une affectation devant être conforme à la qualification professionnelle réglementairement déterminée avec la nature de l’emploi. De plus, «l’entrée en vigueur» (sic) du contrat de travail sera désormais subordonnée à la réception, par l’employeur, de l’avis de l’autorité compétente qui devra s’assurer du respect des dispositions légales. En subordonnant la validité du recrutement du personnel des entreprises de sécurité privée à une déclaration préalable et à un avis, le législateur n’a pas craint de remettre en cause le caractère consensuel du contrat de travail pour renforcer le contrôle des pouvoirs publics sur le personnel de ces entreprises. Le non-respect de ces formalités préalables entraîne la nullité du contrat de travail et ce dernier, s’il cesse, une fois valablement conclu, de remplir les conditions exigées, sera rompu de plein droit. Le législateur impose également aux entreprises la tenue d’un registre spécial sur lequel sera portée l’identité de toutes les personnes employées. La seconde préoccupation du législateur a consisté à prévoir une série de mesures destinées à éviter la confusion entre les services de sécurité privée et le service public de sécurité. La législation ancienne était d’ailleurs centrée sur cette seule préoccupation qui se limitait à interdire toute «dénomination comportant les mots «police», «sécurité» ou tout autre appellation analogue pouvant prêter à confusion (Dahir du 7 Avril 1933). Dans le même esprit, la loi 27/06 exige des entreprises qu’elles fassent mention de leur caractère privé dans leur dénomination pour éviter la confusion avec les autorités publiques chargées de l’ordre et de la sécurité. Cette préoccupation devait conduire le législateur à délimiter avec précision le champ et les modes d’intervention des services de sécurité privée. Des limites sont ainsi tracées pour le respect des droits des citoyens et les prérogatives et missions des services d’ordre et de sécurité relevant de l’Etat. Il y a ainsi, pour les entreprises de sécurité privée, ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Il est permis aux personnels de sécurité privée de porter, dans l’exercice de leurs fonctions, une tenue particulière qui ne doit cependant «entraîner aucune confusion avec les tenues des agents des services publics, notamment ceux des Forces armées royales, de la Sûreté nationale, de la Gendarmerie royale, des Forces auxiliaires et des Douanes». De même, et aux termes de l’article 13 de la loi, les personnels des entreprises de gardiennage peuvent être armés et utiliser tous les moyens de défense, de contrôle et tous les autres moyens de surveillance ainsi que les véhicules spécialement aménagés ou les moyens de communication particuliers. Le principe du port d’armes et de l’utilisation de moyens de défense est donc acquis, malgré ce qui a pu être écrit ou dit à ce sujet. Il reste à préciser que les possibilités offertes par l’article 13 doivent s’exercer conformément aux dispositions législatives et réglementaires existantes et aux textes d’application qui vont préciser ce qu’il faut notamment entendre par armes, par moyens de défense et autres. Par contre et au registre des interdictions, en aucun cas (art. 9) il ne pourra être fait état de la qualité d’ancien fonctionnaire de police ou d’ancien militaire que pourrait avoir un des dirigeants ou employés de l’entreprise. Il leur est également interdit de s’immiscer dans le déroulement d’un conflit de travail ou de se livrer à une surveillance relative aux opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou aux appartenances syndicales des personnes. Il leur est ,en outre, interdit d’assurer des missions ayant pour objet la prévention des infractions ou de porter atteinte à la liberté d’aller et de venir, à l’intégrité physique des personnes ou à l’intimité de la vie privée. Autre interdiction: celle de procéder à des palpations de sécurité ou à des fouilles de corps ou de fouiller les bagages à main, de faire présenter ou retenir un document d’identité. Ce n’est que manière exceptionnelle et dans des conditions très restrictives que des personnels, spécialement autorisés et habilités à cet effet, pourront, sous la surveillance d’un officier ou agent de police judiciaire, effectuer palpations et fouilles (caractère particulier des lieux ouverts au public, conjoncture ou événement particulier). Là aussi, les entreprises de gardiennage et de transports des fonds n’ont pas manqué d’exprimer leurs craintes quant à ces restrictions qui ne leur permettront pas toujours de réagir rapidement à des situations criti
ques. Il reste maintenant à attendre l’adoption et la publication au Bulletin Officiel des textes d’application de la loi qui vont notamment préciser les formes réglementaires des autorisations, les caractéristiques des tenues des personnels, l’utilisation des armes et moyens de défense, les lieux et modalités de palpation… Ce n’est que six mois après la publication au Bulletin Officiel de ces textes d’application que la loi entrera en vigueur. C’est ce même délai qui est accordé aux entreprises exerçant à la date de publication au bulletin officiel de la loi (6/12/2007) pour déclarer à l’administration leur existence et veiller au respect par leur personnel de ses principales dispositions. Il s’agit, rapporte-t-on, de plus de 700 entreprises employant près de 40.000 salariés.
Textes d’application
Les exigences en termes de mise à niveau de la profession et en termes de formation du personnel induites par la loi 27/06 du 30 novembre 2007 a conduit les sociétés de gardiennage et de transport de fonds à s’organiser. L’Association marocaine des sociétés de gardiennage exprime le vœu de voir les professionnels du secteur associés à la préparation des textes d’application. Et ce, afin que ces derniers répondent au mieux aux attentes et aux objectifs escomptés.
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