Harcèlement moral en entreprise: L'omerta se porte bien!

Harcèlement moral en entreprise: L'omerta se porte bien!

Publié le : - Auteur : L'Economiste
Intimidations, pression, critiques, discriminations, humiliations, insultes, «mise au placard»… le harcèlement moral sévit de plus en plus et dans de nombreuses entreprises. Le sujet est tabou, on le savait, mais ce qui est inquiétant, c’est l’ampleur que prend ce phénomène et la banalisation qui l’accompagne.
Le concept est totalement absent du nouveau Code du travail au Maroc. Et le débat le concernant est occulté, voire, tout simplement, annihilé.
Parmi les raisons qui poussent les victimes à ne pas dénoncer le harcèlement il y a bien sûr la peur de perdre son emploi. Mais l’isolement des salariés empêche également toute solidarité entre les victimes, plongeant ainsi l’équipe tout entière dans un mutisme absolu.
D’autant plus qu’au Maroc aucune étude sérieuse n’a encore été réalisée. Le harcèlement moral est une notion relativement neuve et encore assez méconnue. Et il n’en demeure pas moins une réalité sociale incontestable, dans le public comme dans le privé. Les psychologues du travail commencent à peine à prendre en considération une demande qui commence à devenir sérieusement récurrente.
C’est ce que nous rapporte Souad et Ghita Filal, consultantes chez Delta Management. Souad Filal nous explique qu’en vingt ans d’activité, elle n’a jamais eu écho de cas de harcèlement moral au travail par les candidats qu’elle a eus à placer. Tout se passerait donc bien dans le meilleur des mondes? Pas vraiment, tempère Ghita Filal: «Même si le harcèlement moral n’est pas clairement cité par nos candidats, nous ressentons un profond malaise qui se lit à la fois sur le physique et le psychique de la personne». Et à la question de savoir pourquoi la personne décide de quitter son travail alors qu’a priori ses compétences ne sont pas remises en cause, le candidat avance les arguments classiques qui, nous le savons, cachent trop souvent les symptômes du harcèlement moral, rajoute Ghita Filal: «Ma hiérarchie n’a jamais montré le moindre geste de gratitude face à tous mes efforts fournis. En guise de reconnaissance, je n’ai eu droit qu’à des dénigrements, et autres critiques visant à m’humilier publiquement».
Des propos qui en réalité sont l’expression par excellence des manifestations du harcèlement moral. Le plus grand tort pour la majorité de ces victimes? Leur ignorance ou méconnaissance du Code du travail: elles ne sont pas conscientes elles-mêmes que ce qu’elles sont en train de vivre donnent lieu à une protection au vu de l’article 40 du nouveau Code du travail. En effet, lorsqu’il est établi que l’employeur commet l’une de ses fautes (insulte grave, violence ou agression contre le salarié, harcèlement sexuel et incitation à la débauche), le fait pour le salarié de quitter son travail est assimilé à un «licenciement abusif». Avec tous les dommages et intérêts auquel cette forme de licenciement donne droit. Mais faut-il encore que le salarié réunisse les preuves (souvent invisibles) du harcèlement, ce qui est loin d’être évident.
Autre point sur lequel insiste lourdement Ghita Filal, c’est la dénonciation de tels actes. «Le mutisme qui entoure le harcèlement doit cesser, et l’aspect tabou de la chose ne cessera que lorsque plusieurs victimes dénonceront les coupables auprès de la DRH».

Briser le silence

Peu importe l’issue, suite à cette dénonciation, mais le plus important, toujours selon Ghita Filal, c’est que les victimes parlent, et reparlent, en dénonçant la chose. «Cela ne peut que les aider à surmonter un traumatisme, qu’elles risquent de traîner comme un boulet si elles le gardent pour soi».
Et à la question de savoir que préconise un psychologue du travail lorsqu’il voit en face de lui une victime, Ghita Filal explique, «nous conseillons au candidat, dans ce genre de situation, de changer d’emploi au plus vite, avant qu’il ne sombre dans une dépression nerveuse. Si la personne fait le choix d’exposer ce qu’elle vit au département des RH, et que ces derniers peuvent apporter une solution, tant mieux. Dans le cas contraire, la meilleure solution est de quitter». Et d’ajouter, «vous savez, hélas, les harceleurs sont des personnes à la psychologie très forte. Ce sont des manipulateurs hors normes, contre qui le combat est souvent perdu d’avance! D’autant plus qu’à l’heure actuelle il n’existe encore aucune structure «prud’homales(1)» qui protège et défend les droits du salarié contre ce genre de dérapage.
Mais, si au niveau de la profession en elle-même, les victimes commencent à peine et de manière frileuse à se mobiliser et réagir, qu’en est-il juridiquement? Que disent les textes, et plus précisément le Code du travail?
Le harcèlement moral en lui-même est étrangement absent du Code du travail (celui de harcèlement sexuel est quant à lui cité une fois). En revanche, sont considérées comme fautes graves commises par l’employeur, le chef de l’entreprise à l’encontre du salarié: «l’insulte grave, la pratique de toute forme de violence ou d’agression dirigée contre le salarié, le harcèlement sexuel et l’incitation à la débauche…» (article 40 du Code du travail). En France, l’article L122-49 est lui, encore plus clair: «Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel…». Mais qu’entend-on exactement par altération de la santé? Même si le harcèlement ne laisse pas de sang dans l’entreprise (il s’agit souvent de violence discrète et sournoise), ses ravages n’en sont pas moins considérables pour les victimes: anxiété, insomnie, dépression, absentéisme, perte d’efficacité, démission, voire suicide. Un jour, peut-être, à force de plaintes dans les tribunaux, des «prud’hommes» verront-ils le jour au Maroc. En attendant ce jour J, la dénonciation doit demeurer le maître mot pour lutter contre ce fléau des temps modernes!

Firas ADAWI ADLER

 

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