La filiation paternelle accordée à un enfant né en dehors du mariage
Les parents responsables d’accidents d’alcôve doivent passer à la caisse
Un jugement courageux qui pourrait ouvrir la brèche de la réforme.
Dans les couloirs du palais de justice de Tanger, on ne parle que de cela. Le jugement signé par Mohamed Zerda, président du tribunal de la famille à Tanger, fera jurisprudence sans aucun doute. Le tribunal reconnaît la filiation paternelle à un enfant né en dehors du mariage et lui accorde une indemnisation, un acte juridique inédit sur son fondement. Le juge se base sur des tests ADN qui ont établi la filiation, sur la requête de la mère. Cette dernière, qui avait tenu à poursuivre le père pour qu’il reconnaisse son enfant, a dû faire appel à la justice et a demandé une expertise, chose accordée par le tribunal qui, sur la base de ces résultats, a rendu son verdict le 30 janvier dernier.
Selon les juristes, c’est bien la première fois qu’un lien de filiation est établi sans l’existence d’un acte de mariage. Selon la Moudawana, l’acte de mariage est le document servant de base pour l’établissement de ce lien. Les enfants conçus en dehors du mariage ne pouvaient, jusqu’à lors, être inscrits avec le nom de leur père et ne pouvaient, de la sorte, prétendre à une pension alimentaire de la part de ce dernier. Le juge, dans un effort de jurisprudence extrême, se réfère à la Constitution et aux droits garantis par cette dernière à tous les citoyens quels qu’ils soient et de là octroie la paternité à la fille assortie d’une indemnisation calculée sur la base de 2.000 DH par mois depuis sa naissance, soit un total de 100.000 DH. «Il est vrai que le jugement fera jurisprudence car il a dépassé le cadre classique d’établissement de la filiation en dehors du mariage en faisant appel aux techniques modernes comme le test ADN», remarque Mohamed El Haini, ex-juge et spécialiste en matière de droit, un jugement d’autant plus remarquable qu’il intervient dans le cadre de la famille, où le droit est très conservateur.
Pour cet ancien magistrat, il est temps que le cadre légal soit réformé et permette de protéger les enfants issus d’une relation en dehors du cadre du mariage en leur assurant la filiation avec leurs pères. Concernant l’indemnisation, cette dernière est tout à fait légitime, selon El Haini, en faisant référence au code de la route. «Il est tout à fait logique que comme pour le responsable d’un accident de la circulation, celui d’un accident d’alcôve doive passer à la caisse», insiste ce dernier. Seulement, dans ce cas, la responsabilité est partagée entre le père et la mère, une nuance à laquelle le jugement n’a pas fait référence, remarque El Haini. En outre, il n’est pas sûr que le jugement puisse déboucher sur l’inscription de la fille au registre de l’état civil sous le nom de son père, insiste l’ex-magistrat pour qui «le tribunal a seulement prouvé le rapport de paternité sans aller au-delà». En tout cas, ce jugement constitue une première brèche pour la défense des droits des enfants nés en dehors des liens du mariage.
La réforme de la Moudawana, un chantier permanent
Le cas des enfants dits naturels (nés dans le cadre d’une relation en dehors du mariage) n’est pas une mince affaire. Selon une étude de l’association Insaf datant de 2011, 153 enfants sont nés chaque jour hors mariage, dont 24 d’entre eux seront abandonnés. En 2009, ils ont été 8.760 enfants dans ce cas. Pour eux, un effort intellectuel comme celui de ce juge tangérois permettrait de dépasser les barrières et de leur permettre d’avoir une vie et une scolarité normales et épanouies sans la stigmatisation d’une société pudibonde. Un premier pas avait été fait, selon El Haini, en considérant les enfants nés de parents fiancés mais sans être encore mariés comme légitimes, mais il faudra encore d’autres jugements courageux comme celui-là pour arriver à rendre réellement justice à ces enfants.
Ali ABJIOU
http://www.leconomiste.com/article/1008851-enfants-naturels-une-jurisprudence-qui-fera-date