C’EST la bouée de sauvetage pour les centres d’accueil des enfants abandonnés. La kafala reste le moyen le plus adapté au contexte et aux difficultés de gestion quotidienne de l’abandon. Elle permet de gérer le «stock» d’entrée et de sortie d’enfants abandonnés dans les centres d’accueil. Car dès son entrée, le centre gère des aspects qui relèvent en premier lieu de la survie de l’enfant via sa prise en charge sur les plans sanitaire, alimentaire et de nursing. Ce qui nécessite des moyens, humains et matériels, et des ressources. Et aussi des capacités d’accueil qui font souvent défaut.
«La kafala apparaît prioritaire car correspondant à une manière optimale de «gérer le stock». Cette priorité tient compte d’un passif négatif en matière de prise en charge: décès en grand nombre, enfants vivant dans des conditions d’hygiène et de salubrité inadaptées, insuffisance alimentaire, pathologies d’hospitalisme, carences affectives, dépressions de nourrissons, négligences, maltraitance, directe ou indirecte», souligne l’étude sur l’Enfance abandonnée au Maroc.
Déclenchée dès la confirmation de l’abandon, la kafala est donc considérée comme la meilleure option pour l’enfant. Mais en dehors de SOS village habilitée à la solliciter, les autres structures impliquées dans l’accueil d’enfants abandonnés ne sont pas dotées de cette aptitude. Elles peuvent toutefois participer activement à sa promotion.
Depuis 2005, le nombre d’affaires relatives à la kafala traitées par la justice est en nette progression. Il est passé de 1.661 en 2005 à 2.261 en 2008 (voir infographie). Des chiffres qui doivent, selon l’Unicef, tenir compte de la diversité des situations. C’est le cas par exemple du «don à parents», une procédure qui n’est pas considérée comme une kafala d’enfants abandonnés. En 2006, l’effectif total de kafala «d’enfants non abandonnés» s’est élevé à 2.486 contre 2.537 en 2007. Elle est utilisée le plus souvent par les MRE et poserait des problèmes dans la mesure où, à l’âge de 18 ans, l’enfant devenu adulte est susceptible d’être menacé d’exclusion. Et ce, à moins d’avoir bénéficié d’une adoption plénière dans son pays d’accueil, note l’Unicef.
Entre 2005 et 2008, l’on constate une sensible augmentation des demandes de kafala adressées aux juges des mineurs, des ordonnances en faveur de la kafala et, en parallèle, une baisse des décisions de rejet. Les mesures de suivi de l’enfant pris en charge sont également en hausse, mais restent peu représentatives des besoins et donc insuffisantes.
Pour autant, le rapport revient sur l’éternel problématique des délais de traitement. La lenteur du tribunal dépendrait ainsi des relations de coordination entre les différents acteurs. Selon le rapport, les acteurs de la prise en charge citent la lenteur des procédures notamment par rapport aux jugements d’abandon, la durée des enquêtes, la multiplicité des institutionnels et les doublons. Des requêtes sont également jugées inutiles. C’est le cas par exemple de la preuve de l’appartenance religieuse à l’Islam… Les exigences diffèrent aussi au sein d’un même tribunal. Et parfois le manque de coordination entre les différents départements impliqués dans le processus décisionnel bloque l’adoption.
Du côté des assistantes sociales, impliquées dans le travail de terrain, le rapport relève que le manque de moyens et l’absence de légitimité pour les solliciter rendent leurs interventions difficiles. Or, ces intervenants sociaux sont jugés incontournables à tous les niveaux: recherche d’informations relatives aux parents de l’enfant, mise en relation, sensibilisation, incitation à la garde de l’enfant chez les mères célibataires, enquêtes sociales ainsi que le suivi de l’enfant pris en charge.
«Si certains décideurs des structures d’accueil peuvent fermer les yeux sur des éléments potentiellement contradictoires avec la décision de kafala, les intervenants sociaux, eux, se perçoient comme les plus farouches défenseurs de la mère et de l’enfant», note l’étude. Ce sont également des enquêteurs avisés dans la prise en kafala. Le plus souvent ils assurent un suivi «hors procédure», et s’appuient sur leurs propres moyens. Ce qui ne leur permet pas de signaler les abus et d’intervenir dès lors que le risque pour l’enfant est perçu.
Les lacunes de la kafala
Parmi les problèmes sur lesquels il est important de se pencher, figure celui des enfants refoulés suite au revirement des parents adoptifs. Ce qui renvoie à une définition du rôle et des obligations parentales. Idem pour l’âge du kafil: comment accepter qu’un parent âgé de soixante dix ans puisse adopter un enfant? Quel avenir pour l’enfant? Quelle attente du parent kafil?
L’âge de déchéance fixé à 18 ans de la kafala est également critiqué. Il est jugé insuffisant, au regard de la qualité de la prise en charge en institution, laquelle n’éduque pas l’enfant dans le sens de l’autonomie. L’arrêt de la kafala à 18 ans présenterait donc un risque pour l’enfant abandonné.
«Kafala express»
Le rapport critique certaines attitudes qui remettent en question la conscience professionnelle de certains juges: affinité, proximité relationnelle et intérêt financier. Le rapport parle de kafala d’enfants monnayée et en particulier de filles, évitant ainsi à certains parents une attente trop longue.
Le rapport parle aussi de «kafala VIP» qui n’est pas nécessairement monnayable mais qui évite à certains parents de faire la queue comme les autres.
Autre modalité, la «kafala cocotte minute» qui consisterait, pour un parent adoptif, de suivre la mère déjà enceinte. La «kafala express» est celle où l’enfant est repéré à la naissance et où les parents adoptifs réussiraient l’exploit d’obtenir un jugement «instantané» antérieur aux enquêtes. La «kafala lucrative» consiste, quant à elle, à payer ici et là en dédommagement des services rendus.
K.M.