«Nombreux sont les secteurs non structurés (absence de couverture sociale, non application du Smig, temps de travail à rallonge sans compensation) et les pouvoirs publics ferment les yeux sous prétexte de préserver des emplois. Au nom du social, on favorise la précarité. De ce fait, la grève reste la seule arme face à cette forme de contrebande sociale», tranche Mustapha Nachit, membre du bureau exécutif de l’UGTM. Mais c’est une arme à double tranchant. En effet, si la Constitution reconnaît le droit de grève, rien dans la loi n’en décline les modalités. Depuis près d’un demi-siècle (46 ans exactement), aucun gouvernement n’a osé s’attaquer à la clarification de l’exercice du droit de grève en dépit de requêtes récurrentes du patronat et des dégâts économiques que les grèves sauvages ont faits dans l’industrie. A Casablanca, certaines entreprises ont été emportées par des conflits collectifs. L’on se souvient également des occupations d’usines textiles qui ont fait couler quelques unités et des emplois avec.
La justice condamne systématiquement les occupations des lieux de travail, la position des juges est constante sur ce point. A plusieurs reprises, la pratique a été assimilée à une entrave au fonctionnement de l’entreprise (affaire des techniciens de RAM en 1996), le juge considérant que l’occupation des lieux de travail était une atteinte au droit de propriété et une entrave à la liberté de travail.
Bien évidemment, les organisations syndicales ne sont pas de cet avis. Elles considèrent qu’il s’agit d’une mesure «pour se protéger contre toute manœuvre visant à faire obstruction au droit de grève»! L’employeur peut être tenté de faire sortir les machines ou les outils de production pour les vendre ou les déplacer pour justifier la fermeture de l’établissement», explique Nachit.
· Payer les jours non travaillés!
Dans un jugement datant du 4 août 1995, le tribunal de première instance de Hay Mohammadi à Casablanca a autorisé l’employeur à sortir les marchandises destinées à la vente, mais lui a interdit de toucher aux outils de production.
Le préavis constitue un autre point d’achoppement. Forts du vide juridique sur ce point, certains syndicats sont souvent tentés de faire jouer l’effet de surprise au maximum lors de déclenchement d’un arrêt de travail. «Mais de plus en plus et sans obligation de préavis, les syndicats préviennent de leur mouvement au moins 24 heures à l’avance», fait remarquer le responsable de l’UGTM.
Le vide juridique sur les modalités de l’exercice du droit de grève peut donner lieu à des dépassements. «Il y a effectivement des abus de droit puisque certains grévistes peuvent avoir des revendications que l’employeur ne peut pas satisfaire», soutient Jalal Tahar, secrétaire général de l’Ordre des avocats de Casablanca.
Enfin, il faut rappeler qu’un employeur a le droit de retenir le salaire des jours non travaillés à la suite d’une grève. «Nous le rappelons systématiquement aux employés en cas de conflit collectif de travail», affirme le syndicaliste de l’UGTM. Bien souvent, le paiement des jours de grève fait partie du deal à l’issue des négociations qui mettent fin au conflit. En somme, le prix à payer pour la paix sociale. Dans la Fonction publique, le paiement des jours de grève est quasiment un droit. Aucun gouvernement ne s’est risqué à opérer des retenues sur salaires sur les jours de grève.
Un enjeu permanent dans les négociations
Outre le Smig qui fait couler beaucoup d’encre en ce moment, l’encadrement légal des modalités d’exercice du droit de grève reviendra une fois de plus sur la table du prochain round du dialogue social. Ainsi, le patronat devrait réitérer ses requêtes en exigeant une définition de la grève licite. Jusqu’à présent, ni la loi ni la jurisprudence ne la définissent. La confédération patronale demande que la grève ait un objectif professionnel (condition de travail, salaire…). Ce qui exclut la grève perlée qui consiste à ralentir volontairement le travail en diminuant les cadences de production.
La CGEM voudrait également écarter toute grève dite de solidarité qui viserait selon elle non pas à soutenir un salarié ou des revendications communes à un grand nombre de travailleurs, mais à nuire à l’entreprise. Elle propose en outre que cette forme de contestation soit illicite si elle est entreprise par un seul employé. Mais elle atténue le principe en donnant la possibilité à une seule personne de suivre une grève nationale qui aurait les mêmes revendications que’elle. Ceci risque de ne pas être accepté par les syndicats qui verrait en cela une division de leur force parce que c’est la solidarité entre salariés qui est la philosophie première de la grève. Une autre proposition qui risque de saboter le dialogue social réside en l’instauration d’un quota de représentativité syndicale au sein de l’entreprise. Ainsi, les patrons proposent que la grève soit initiée par un syndicat représentant les 2/3 du personnel ou suite à un référendum faisant ressortir une majorité pour. Des retenues sur salaires des grévistes pour les jours non travaillés figurent également dans les propositions patronales. A ce niveau, il faut signaler que cela existe déjà dans la pratique. La confédération demande que soit respecté le droit de propriété et, de ce fait, l’occupation des locaux soit interdite par la loi. Jusqu’à présent, c’est la jurisprudence qui avait soutenu ce droit. Enfin, elle propose que soit respecté un préavis d’au moins 15 jours avant tout déclenchement de grève.
Jalal BAAZI
Source : http://www.leconomiste.com