Selon des juristes et militants, l’amendement du code de la famille s’impose pour équilibrer entre les droits dévolus au père et ceux octroyés à la mère, suite au divorce, mais, surtout; pour garantir l’intérêt de l’enfant, grand oublié d’une guerre dont il est le centre.
Ouvrir un compte bancaire pour son enfant, le faire changer d’école, demander pour lui un visa ou un passeport… Ces simples opérations, légitimes pour un parent, ne sont pas possibles à réaliser au Maroc par une mère divorcée, sans l’accord du père.
Si le droit de garde est d’abord confié à la mère, le droit de tutelle est, quant à lui, automatiquement octroyé au père. Des situations qui “ne correspondent pas à l’évolution de notre société”, surtout que le mariage de la mère, chargée de la garde de son enfant, conduit à la déchéance de ce droit lorsque, par exemple, l’enfant a plus de 7 ans.
Plusieurs femmes “se sacrifient” et ne “pensent même pas à l’idée de rencontrer quelqu’un après le divorce”, pour éviter de perdre la garde de leur enfant.
Elles sont nombreuses dans ce cas, vivant constamment dans “la peur de perdre leur raison de vivre”. Tel est le cas de Sanaâ Tazi, militante féministe, venue témoigner de son expérience, lors de la conférence organisée samedi 10 avril par l’association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté (ATEC), en présence d’un panel d’experts dont l’objectif est de faire le point sur le droit de garde et de tutelle au Maroc.
En déphasage avec l’évolution de la société, riche en contradictions et marqué par une application judiciaire patriarcale, le texte formant code de la famille ignore l’intérêt de l’enfant et ne respecte pas le principe d’égalité des genres, selon les experts intervenant qui insistent sur la nécessité de changer la Moudawana, la faire évoluer et l’accorder avec les besoins actuels de la société marocaine.
C’est, à la fois le constat et l’appel, lancé par plusieurs intervenants dont Me Zahia Ammoumou, avocate spécialisée en droit de la famille et bénévole au sein de l’association ATEC.
Me Ammoumou a relevé les nombreuses contradictions que cache la Moudouwana, un texte qui aurait dû “être modifié 5 ans après sa promulgation, car à l’époque déjà, son incompatibilité était évidente”.
Parmi les contradictions mises en exergue par l’avocate, celle de l’article 4 du code de la famille selon lequel le mariage est un pacte fondé, entre autres, sur “la fondation d’une famille stable sous la direction des deux époux”.
Pourtant, des dispositions du même code dont celle de l’article 230, octroie au père le droit de tutelle en priorité et de manière automatique.
“Nous avions considéré l’article 4 comme une révolution, mais finalement c’est comme s’il n’existait pas car il n’y a pas d’équilibre entre l’homme et la femme en matière de tutelle. C’est le père qui détient la première place qu’on ne peut lui retirer que par décision judiciaire à la suite d’une disparition ou d’une incapacité”, explique Me Ammoumou.
Même lorsqu’il est empêché d’exercer ce droit de tutelle, la mère ne l’acquiert pas automatiquement car, conformément à l’article 237 du code de la famille, “le père peut désigner un tuteur testamentaire” autre que la mère.
Celle-ci, en cas d’empêchement du père, ne peut que “veiller sur les intérêts urgents de son enfant”. L’exercice de son droit de tutelle est limité aux cas d’urgence seulement. Une autre situation “injuste” que déplorent les experts intervenants.
“C’est ici que réside l’exercice du pouvoir, de l’injustice et de la violence”, souligne Me Ammoumou.
Car il s’agit effectivement d’une forme de violence selon Laila Slassi, conseillère juridique et cofondatrice du mouvement “Masaktach”. Elle considère que “ces injustices sont une forme de violence dite “institutionnelle”, issues d’un problème historique général qui trouve son fondement dans le droit romain”.
Autrement dit, il s’agit d’un “héritage colonial” dans notre droit. Il faut, donc, le “nettoyer et le dépolluer”, car il “correspond à des réalités qui ne sont pas les nôtres”, souligne-t-elle.
“La tutelle qui est dévolue au père de manière automatique et prioritaire, sans aucune possibilité pour la mère d’y avoir droit, existait dans le droit français et n’a été abolie qu’en 1970. C’est un événement très récent qui intervient à la suite du mouvement féministe, de libération des femmes qui a mis en avant cette injustice flagrante”, explique Laila Slassi qui déplore surtout l’absence de l’intérêt de l’enfant dans le débat.
“Il n’intervient que de manière extrêmement elliptique dans le texte de la Moudawana”, souligne-t-elle, en rappelant la nécessité de “replacer l’intérêt de l’enfant au cœur de toutes les décisions”, tant sur le plan de la garde que sur la question de la tutelle.
“Il faut faire évoluer le droit marocain, comme ont évolué d’autres droits pour passer de la notion de tutelle à la notion d’autorité parentale. Les deux parents auront une autorité sur leur enfant. Pourquoi priver la mère de cette autorité alors qu’en général, c’est elle qui se trouve au premier plan de la responsabilité”, déclare Laila Slassi.
Selon elle, “l’autorité doit aller de pair avec la responsabilité. Il n’y a pas de raison que la tutelle soit dévolue automatiquement au père. De même qu’il n’est pas rationnel et pas logique que la garde aille automatiquement à la mère”.
Les experts intervenants ont unanimement appelé au changement législatif, pour rattraper les 17 ans de retard entre le texte en vigueur et la réalité actuelle de notre société, mais ont surtout appelé à la mobilisation de tous les acteurs, y compris les partis politiques afin de “se positionner” à la veille des élections.
Ils ont également exhorté les femmes concernées à briser le silence pour “mettre la pression et assurer le changement”, mais aussi proposer la création de cellules d’écoute au sein des tribunaux de famille, afin de créer un repère pour les femmes qui, face à la complexité de la justice, ne connaissent pas leurs droits ni vers quelles instances s’adresser ou comment (ré)agir.
La formation des assistants sociaux et des huissiers de justice est également nécessaire pour protéger les enfants de parents divorcés. Les premiers sont censés guider et accompagner, “mais comment peuvent-ils s’y prendre sans formation et sans connaissance du droit ?”, interroge Bouchra Abdou, directrice exécutive de l’ATEC.
Celle-ci invite les huissiers de justice, qui interviennent pour constater le respect du droit de visite, à collaborer avec les associations afin d’écouter et comprendre les mères, souvent victimes d’injustices.