Déménagement d'entreprises : Les salariés doivent-ils obtempérer?

Déménagement d'entreprises : Les salariés doivent-ils obtempérer?

Publié le : - Auteur : L'Economiste

LA conjoncture économique ou une opération de croissance interne peut obliger l’entreprise à transférer son activité sur un nouveau site.
Certaines firmes ont choisi par exemple de rejoindre les zones industrielles. Le prix du terrain étant en continuelle augmentation, elles se lancent dans la spéculation. D’autres, en raison parfois des rejets occasionnés par leur activité, optent pour la périphérie.
Mais une fois la décision prise, les dirigeants se heurtent souvent aux réticences des salariés, entraînant dans la foulée un conflit souvent collectif. Car «le lieu de travail est un élément substantiel du contrat de travail. Sa modification requiert le consentement du salarié», indique Ahmed Laksiwar, consultant en législation du travail.
Sur le plan juridique, la question est beaucoup plus délicate. Car, si cette mutation constitue une modification du contrat de travail, le salarié est en mesure de la refuser. A l’inverse, si elle ne constitue qu’un simple changement des conditions de travail, elle relève du pouvoir de direction de l’employeur et donc l’employé doit s’y conformer.
En France, la jurisprudence a développé la notion de «secteur géographique» qui permet, plus ou moins, de donner quelques points de repère aux juges pour trancher dans ce genre d’affaires. La situation est toute autre au Maroc. Le code du travail reste silencieux sur ce point. La jurisprudence, elle, est plutôt hasardeuse. «Jusque-là, les juges n’ont pas pu aller au fond du problème», indique Zine Elabidine Kacha, inspecteur du travail. Quelques décisions judiciaires en témoignent.
En raison de «difficultés économiques», la société des radiateurs de voitures NRF a opté pour un transfert d’activité vers la zone industrielle de Aïn Sebaâ. Une partie des salariés, qui comptent pour la majorité une dizaine d’années d’ancienneté, n’a pas accepté ce transfert. Les réunions de conciliation n’ont pas abouti.
Portée devant la justice, cette affaire va jeter la lumière sur un point important: la difficulté de développer une jurisprudence constante. L’affaire qui devait, en principe, apporter des solutions à la question de fond, à savoir la portée juridique du changement du lieu de travail, va prendre un autre chemin. «Les juges se sont occupés des détails sans apporter de solutions à la problématique», constate Zine Elabidine Kacha.
En effet, à quelques différences près, une série de décisions rendues ces deux dernières années (2008/2009) par le tribunal de Première instance de Casablanca, ont abouti aux mêmes conclusions: paiement des salaires pour les mois d’arrêt de travail, dommages pour licenciement, dommage pour non-respect du délai de préavis… mais à aucun moment la question du changement des clauses du contrat n’est posée.
En dehors de cette affaire, l’on se trouve généralement devant deux situations, selon Ahmed Laksiwar: en premier lieu, le refus de rejoindre le lieu de travail peut être considéré comme un changement des clauses du contrat, et donc une résiliation abusive. Dans le deuxième cas, le salarié peut être amené à démissionner à cause de ce changement. Sa décision est assimilée à une démission forcée, et donc la responsabilité de l’employeur peut être engagée pour licenciement abusif.
Mais attention, prévient Laksiwar, les deux hypothèses ne concernent que le déménagement d’une ville à l’autre. Un tel changement a des répercussions sur les habitudes du salarié: transport, restauration… Mais la jurisprudence marocaine, dont le droit s’inspire en grande partie de celui français, reste très en retard sur ce point. En effet, en France, la notion de secteur géographique est appréciée au cas par cas par les juges qui ont tout de même donné quelques points de repère pour mieux cerner cette notion. Ainsi, un déplacement à l’intérieur de la région parisienne constitue un simple aménagement des conditions de travail (arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 20 octobre 1998, n° 96-40757). Il en va de même pour le déplacement à l’intérieur d’une même zone urbaine ou d’un même bassin d’emploi. Les juges prennent notamment en compte la desserte en moyens de transport pour apprécier le changement de secteur ou non.
Au Maroc, le code du travail mis en place en 2004 n’a pas été épaulé par une jurisprudence constante et innovante. La formation des magistrats y est certainement pour beaucoup.


Solutions

Dans la majorité des cas, deux types de solutions sont proposées: une négociation à l’amiable ou le transfert moyennant une indemnité. Le plus souvent les salariés partent moyennant une indemnisation qui atteint rarement le plafond fixé par le code du travail. Le déménagement étant associé à un changement des habitudes, notamment par rapport à la restauration ou encore le transport. Les entreprises proposent souvent le transport aux salariés, mettent à leur disposition un espace de restauration ou bien accordent une prime de panier. Certaines sociétés ayant opté pour la périphérie ont même mis en place des crèches. Cela a permis d’atténuer de petits désagréments. Mais ce qui fait souvent défaut lors de ces opérations, c’est le manque de communication. Des inspecteurs du travail expliquent que dans la majorité des cas, les conflits collectifs ont éclaté à cause d’un déficit de communication.

Tarik HARI

Partagez