Pour que des avocats se démarquent, un «minimum syndical» est de mise. Le droit est par définition une discipline plurielle. La spécialisation d’un juriste n’est pas un luxe, mais une obligation. Un cabinet d’avocats peut très bien être généraliste. Par contre, ce choix ne lui permettra pas forcément de capitaliser sur une expertise en particulier (droit des médias, droit boursier, droit des affaires…).
«Le monolinguisme et les effets de manches font partie de la préhistoire. Quant à la technicité des avocats, elle est de plus en plus sollicitée», commente Me Hamid Andaloussi. Auparavant, les introductions en Bourse ou les fusions-acquisitions faisaient figure d’opérations anecdotiques. Pourtant, la place judiciaire locale est relativement déphasée. Car un avocat doit maîtriser à la fois les chiffres, plusieurs langues et disciplines dont la finance ou l’économie. La formation universitaire explique en partie cette carence de polyvalence. Pour Me Azzedine Kettani, qui va fêter à la mi-juillet ses 40 ans de carrière universitaire au sein de la faculté de droit de Casablanca, «il y a une inadéquation entre la formation et les besoins du marché. D’autant plus que le barrage de la sélection fait défaut». Les études de droit deviennent de fait une sorte d’échappatoire pour les bacheliers sans vocation. Certes, la langue arabe est la langue officielle du monde judiciaire. Dans le monde des affaires, c’est plutôt le français qui s’impose comme langue de travail. Quant à l’anglais, elle est de loin la langue attitrée pour la rédaction et la négociation des contrats internationaux. Le Maroc n’est plus un îlot, en atteste la profusion des accords d’association, de libre-échange ou de partenariat. Un background en droit européen ou en Common law fait toujours la différence auprès des clients. L’investisseur n’est pas seulement quelqu’un qui amène de l’argent, mais aussi une culture. D’ailleurs, les juristes, avec l’anglais ou l’espagnol comme 3e langue, sont des profils qui valent de l’or.
Par ailleurs, quoi que l’on pense, le «marché judiciaire est petit de taille. Il n’y a pas de quoi se gargariser en parlant d’avocats d’affaires», souligne Me Kettani. Pourtant, les cabinets étrangers continuent à s’y installer. Et la pression matérielle finit toujours par imposer sa loi: un avocat a également un loyer et une assistante à payer. Difficile donc de se spécialiser dans de telles conditions. La formation des avocats est une autre paire de manches. «La métropole économique est la seule ville du pays à disposer d’un centre de formation pour avocats stagiaires», s’enorgueillit Me Abderrahim Atouani, membre du conseil du barreau de Casablanca. Inutile de s’attarder sur la qualité de la formation. Contrairement aux magistrats, qui disposent d’un institut de formation à Rabat, la majorité des avocats-stagiaires apprennent sur le tas. En France, par exemple, les futurs avocats ont plusieurs centres de formation où ils apprennent même à plaider. La formation fait la part belle aux cas pratiques et la rédaction d’actes. Contrairement aux Algériens et aux Tunisiens, les avocats marocains ne peuvent pas légalement se constituer en société civile professionnelle (SCP). Elle permet de mutualiser les moyens et les compétences. Heureusement, le projet de loi relatif à la profession d’avocat en prévoit. Mais il tarde à être adopté par le Parlement.
La consécration légale des SCP va certainement reconfigurer la structure des cabinets et de la communauté judiciaire. Pour le moment, certains pionniers se contentent d’une association de moyens: payer le loyer et les assistantes. «Par contre, sans SCP, ils n’ont pas droit à un régime fiscale spécifique et encore moins à des parts sociales», souligne Me Amin Hajji.
Cabinets étrangers
La quasi-majorité des cabinets étrangers font du conseil juridique. Même s’ils ont le titre d’avocats, ils ne peuvent plaider qu’après obtention d’une habilitation du barreau et, dans certains cas, du ministre de la Justice. Le Maroc a signé des conventions de réciprocité avec des pays comme la France. Elle accorde aux avocats le droit de plaider dans les barreaux des deux pays. Il y a une procédure particulière à suivre, souvent formelle, dont l’examen des connaissances et de la langue. Des «obstacles» persistent tout de même: les procédures judiciaires (requête, plaidoirie…) se font en arabe. S’il s’agit d’une affaire contentieuse, ces cabinets sous-traitent leurs dossiers à des avocats marocains. C’est ce que Maître Azzedine Kettani qualifie de «figuration», vu que les cabinets sous-traitants ne produisent pas d’avis mais sont juste des relais judiciaires. Si jamais la loi change, en exigeant par exemple qu’un conseil ait aussi le titre d’avocat, la donne va changer. De ce fait, ces cabinets étrangers devront intégrer des avocats marocains en tant qu’associés pour s’implanter au Maroc.
Faiçal FAQUIHI
Source : http://www.leconomiste.com/