Après une condamnation en première instance, Simulator remporte la deuxième manche contre son concurrent Artemis. Un arrêt inédit sur le marché de l’édition juridique et la diffusion des textes légaux.
La loi est un patrimoine public, personne ne peut en invoquer le monopole. Ainsi peut-on traduire l’énoncé d’un arrêt rendu par la Cour d’appel de commerce de Casablanca. Cette juridiction statuait sur une affaire de plagiat entre Simulator Online et Artemis, deux spécialistes de l’édition juridique au Maroc.
La décision date du 16 novembre. Elle annule un jugement rendu une année plus tôt par le tribunal de commerce. Ce dernier avait condamné Simulator à « arrêter la distribution des textes légaux contenus dans ses bases de données », tout en la condamnant à verser un dédommagement de 40.000 DH à son concurrent Artemis.
Artemis fait valoir« des similitudes » entre sa base de données et celle, élaborée ultérieurement, de Simulator. Ce constat a été relevé par une expertise indépendante.
Livrées en octobre, deux expertises, cette fois-ci judiciaires, fourniront des conclusions plus nuancées. Il est ainsi question de « ressemblances et différences dans la méthode de recherche et la technologie » utilisées par les deux concurrents, notamment au niveau « des graphiques et du design ». Choses considérées comme « normales et courantes » dans le domaine d’activité où opèrent les deux sociétés, dit l’un des experts.
En revanche, il a été remarqué « une ressemblance ostensible », voire « criante » au niveau des textes juridiques traités, certains allant jusqu’à contenir les mêmes « fautes d’orthographe et lexicales. » Cette partie là de l’expertise a été déterminante en phase de première instance, où Artemis avait eu gain de cause. Mais qu’est ce qui a changé en appel ?
Pour la juridiction de deuxième degré, se concentrer sur cette conclusion reste « infondé » puisque l’expertise a parallèlement établi « l’absence de similitudes » sur la technologie selon lesquelles ont été conçues les deux plateformes. Or, la simple ressemblance au niveau des textes juridiques, quand bien même ils reprendraient les mêmes erreurs, « ne permet pas de prouver une atteinte à la base de données » d’Artemis, estime la Cour pour contredire le premier jugement.
En somme, la Cour rappelle que la protection prévue par la loi sur les droits d’auteurs (loi n° 2.00) ne s’étend pas « aux textes officiels de nature législative, administrative ou judiciaire, ni à leurs traductions officielles », selon l’arrêt d’appel, adoptant un argumentaire déjà soulevé par Simulator en première instance, mais qui n’avait alors pas réussi à convaincre le juge.
La protection légale ne couvre ainsi que les « œuvres littéraires et artistiques qui sont des créations intellectuelles originales » en la matière. Pour la Cour d’appel, les textes juridiques émanant des « autorités étatiques » ne correspondent pas à cette définition. D’autant qu’en l’espèce, les textes en question ont été « copiées » à partir des « sites électroniques d’administrations publiques », puis « contenues dans une base de données sans que cela ne requiert une quelconque création artistique ».
La juridiction enfonce en qualifiant les productions législatives et réglementaires de « propriété publique ». Ce n’est pas « une création originale » d’Artemis. Or, la ressemblance concerne précisément ces textes « non protégés », et non les bases de données en elle-même comme s’en prévaut l’éditeur. Autrement dit, seul le contenant est protégé. Le contenu, lui, échappe à cette protection.
En effet, les expertises ont conclu que les deux sites ont été conçus en adoptant une technologie différente. Aucune similitude à ce niveau, ni plagiat des logiciels informatiques. Artemis et Simulator offrent aux clients la possibilité d’effectuer des recherches par mot clé dans une base de recherche de textes juridiques « ordonnés » de la même manière chez les deux concurrents.
Tout en infirmant le jugement du tribunal de commerce, la Cour d’appel a de nouveau statué sur le dossier en rejetant la demande d’Artemis, celle-ci se trouvant condamnée aux dépens. Un troisième round est en vue devant la plus haute juridiction du Royaume.
L’enjeu touche un marché en émergence, où les deux adversaires se posent aujourd’hui comme cadors. Mais l’affaire impacte aussi des tiers. Attijariwafa Bank et Banque centrale populaire, deux clients de Simulator, ont également été condamnées, en première instance et en appel, à arrêter la diffusion de la base de donnée contestée. Fait curieux, prononcée le 1er décembre, la condamnation en appel de AWB est survenue après la décision rendue sur le litige principal opposant Artemis à Simulator.
Consulter l’article sur le site de l’auteur