Joints par Médias24, trois experts en arbitrage international, dont Me Azzedine Kettani, se penchent sur le cas du Maroc, impliqué dans cinq litiges internationaux. Pour quelles raisons le Maroc traîne-t-il autant de litiges ? S’agit-il d’une mauvaise gestion du risque juridique ou d’un mauvais traitement des investisseurs ? Ces derniers abusent-ils des procédures d’arbitrage ? Éclairages.
A Washington, le Maroc est impliqué dans cinq litiges internationaux. Face à des firmes américaine, française ou encore espagnole, le Royaume risque une condamnation, par le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), qui peut atteindre 23 MMDH. Un montant susceptible d’être réduit en cas de transaction.
Pour quelles raisons le Maroc traîne-t-il autant de litiges à l’international ? S’agit-il d’une mauvaise gestion du risque juridique ou d’un mauvais traitement des investisseurs ? Ces derniers abusent-ils des procédures d’arbitrage ? Médias24 a sondé des experts en la matière, dont Me Azzedine Kettani, avocat au barreau de Casablanca et professeur de droit.
Pour cet expert en arbitrage, doublement distingué à l’international (par le Global Law Experts et le Corporate International), les litiges en cours à Washington ne sont pas nombreux et la situation dans laquelle se trouve le Maroc est « normale ».
Outre les deux affaires récentes (Finetis en septembre 2021 et Comercializadora Mediterranéa de Viviendas en juin 2022), Me Kettani estime que les affaires « Corral et Carlyle, qui concernent la Samir, ne tiennent absolument pas », sachant que l’affaire qui oppose le Maroc à Carlyle « est apparemment en cours d’arrangement ».
Quant à l’affaire de « l’investisseur allemand Scholz qui a introduit son action en 2019, à cause des mesures prises par l’Etat dans le domaine de la sidérurgie », l’avocat considère qu’elle « paraît manquer de substance ».
Les affaires du Maroc ont contribué à la jurisprudence du CIRDI
Me Kettani rappelle que « la première affaire internationale présentée au CIRDI dans les années 1970 concernait le Maroc (Holiday Inns/Maroc), suivie de la fameuse affaire Salini qui a permis de définir ‘l’investissement’ au sens de la Convention CIRDI ».
« Ces affaires, qui se sont terminées par des arrangements ont beaucoup contribué à la jurisprudence du CIRDI. On s’y réfère encore dans les sentences. A ce jour, le Maroc n’a pas été condamné par une sentence arbitrale, ayant toujours trouvé une sortie honorable. Récemment, l’affaire Pizzarotti en est un autre exemple », souligne-t-il.
La situation du Maroc, qui fait face à ces cinq litiges internationaux, est donc considérée comme « normale ». Pour Me Kettani, « plus il y a d’investissements étrangers, plus il y a de risques de différends. Le Maroc a connu une importante augmentation des IDE ces dernières années, si on exclut la période de la pandémie ».
Recours aux conseils spécialisés : une clé de sécurité juridique
Interrogé sur la potentielle mauvaise gestion du risque juridique par le Maroc, Me Kettani estime que celle-ci « ne peut faire l’objet d’une appréciation générale ni catégorique ».
Selon lui, « il peut arriver que la convention d’investissement ne soit pas suffisamment précise ou suffisamment protectrice des intérêts du Maroc. Je n’ai pas l’impression que les organes qui concluent ces contrats fassent régulièrement appel à des cabinets d’avocats spécialisés en la matière, sans généralisation aucune. Mais il est également possible que les ressources internes de ces organismes ne soient pas toujours en mesure de contrer les conseils et avocats des investisseurs étrangers qui, eux, s’entourent, à juste raison, de professionnels chevronnés la plupart du temps ».
Dans tous les cas, les affaires dans lesquelles le Maroc est engagé à l’international ne sont pas dues à un mauvais traitement des investisseurs. Pour Me Kettani, « le Maroc n’a pas cette réputation. Il fait tout ce qu’il peut pour attirer plus d’investisseurs. Il faut certainement en faire davantage pour être plus attractif », conclut-il.
Gestion du risque : vers la recherche d’un équilibre
Egalement joints par Médias24, d’autres experts en matière d’arbitrage donnent une lecture différente de la situation. Le premier, dirigeant d’un cabinet basé à Casablanca, et opérant sur l’un des dossiers CIRDI en défendant les intérêts du Maroc, estime que « la multiplication des recours administratifs et les recours au CIRDI ont sensibilisé l’administration ».
« Le risque commence à être pris en compte par l’administration, qui va même jusqu’à voir le risque juridique partout ; ce qui conduit parfois à l’inaction par peur du risque juridique. » Pour cet expert, cette approche reste néanmoins positive. « Nous passons de zéro prise en compte du risque à une surestimation de celui-ci. Nous allons finir par trouver un équilibre », sachant que « les recours administratifs des nationaux participent également à cette évolution, puisque les juridictions administratives n’hésitent plus à condamner l’Etat ».
Plus critique, un collaborateur au sein d’un grand cabinet d’affaires casablancais attribue les litiges en cours à l’international à la mauvaise gestion du risque juridique par les entités concernées et/ou l’agence judiciaire du Royaume.
Il estime que cette mauvaise gestion réside dans l’absence totale de coordination, dans la rétention d’information comme dans l’absence de stratégie globale dans l’intérêt général du pays ; ce qui est pourtant nécessaire dans le cadre de litiges transversaux, impliquant souvent plusieurs entités publiques.
Néanmoins, un volet non négligeable est relevé par ce praticien : il s’agit de l’usage abusif de ces procédures par des investisseurs. Selon lui, « le recours au CIRDI est parfois brandi comme une menace pour négocier ».